lundi 17 septembre 2007

Autour du voyage d'étude à Auschwitz

Compte-rendu des travaux (partie histoire / cinéma / littérature) des élèves de T ES 1 du lycée Europe, sous la direction de Fabienne Chevalier, professeur d’histoire de la classe :

1. Analyse de trois films

2. Présentation de quatre ouvrages de littérature

3. Regards sur trois témoignages

4. I mpressions de voyage

5. Quelques éléments de réflexion sur les rapports entre l’histoire et la mémoire

Remerciements : Au nom de tous les élèves et des deux professeurs qui ont conduit le projet, Stéphane Vendé et moi-même, je remercie Monsieur Charles Zelty qui nous a accompagné et guidé lors de notre visite du camp et Monsieur Alban Perrin du Mémorial, coordinateur du voyage, qui nous a aidé à le réaliser.

Fabienne Chevalier

Anita était violoncelliste à Auschwitz, Ouest-France

Ouest-France Magazine

Paru dans l'édition du lundi 17 septembre 2007

Anita était violoncelliste à Auschwitz

Ouest-France
Aujourd'hui, Anita Lasker-Wallfisch est une vieille femme digne qui n'oublie pas, qu'avant-guerre, elle était une adolescente insouciante, apprentie violoncelliste. À 18 ans, elle a connu l'horreur de la déportation. Elle a dû jouer dans l'orchestre d'Auschwitz. : Ouest-France

Anita Lasker-Wallfisch a 18 ans quand elle est jetée dans le camp nazi. Elle survivra. Parce qu'elle est musicienne et qu'elle a intégré l'orchestre de femmes qui accompagnait la mort et les travaux forcés. Aujourd'hui, elle témoigne. Sans haine.

« Je venais d'arriver à Auschwitz. J'avais 18 ans, j'étais nue, on m'avait rasé la tête, tatoué le numéro 69 388 sur le bras gauche... Mes parents et ma soeur étaient aussi déportés, et je discutais violoncelle avec une femme... » Cette femme qui l'accueille dans le camp avec cette étonnante conversation musicale s'appelle Alma Rosé, la nièce de Gustav Mahler. Ce dialogue surréaliste va sauver la vie d'Anita Lasker-Wallfisch, jeune juive allemande de Breslau. Alors que la machine à tuer tourne à plein régime dans les camps de la mort, les Allemands, comble du cynisme, y ont monté des orchestres. Dont un composé uniquement de femmes à Auschwitz. Chaque matin et chaque soir, il joue des marches pour scander le départ et le retour des travailleuses. C'est Alma Rosé qui le dirige et elle prend son rôle de chef d'orchestre très au sérieux.

« Elle était tellement contente de trouver une violoncelliste. Elle n'avait que des instruments aigus. Elle voulait savoir où j'avais étudié le violoncelle, avec qui, pendant combien de temps... » Anita passe même une audition! « Je venais de passer plus d'un an en prison, sans toucher un violoncelle. J'ai demandé à pouvoir reprendre le contact avec l'instrument. Et j'ai joué le deuxième mouvement du concerto de Boccherini », raconte la vieille dame digne, aujourd'hui âgée de 82 ans.

Dans cet univers de mort, Alma Rosé dirige ses musiciennes d'une main de fer. « J'ai dû laver le sol du bloc à genoux pour des fausses notes. Dans ces moments-là, je ne peux pas dire que j'aimais Alma, confesse Anita Lasker-Wallfisch. Mais je garde aujourd'hui une extrême admiration pour son attitude. Nous étions des jeunes femmes et on ne jouait pas très bien. En nous imposant une discipline très stricte, en nous faisant travailler note par note, elle a réussi à détourner notre attention de ce qui se passait autour de nous. On se concentrait sur un fa qui aurait dû être un fa dièse. »

Anita sait que certaines prisonnières « détestaient les musiciennes. » Parce que leur statut leur offrait des conditions d'internement un peu moins atroces. Mais d'autres y puisaient une source de réconfort. Aussi bref soit-il. « Entendre la musique permettait d'oublier l'horreur quelques secondes, de se souvenir de la vie normale », lui diront des déportées. Car, « à Auschwitz - Birkenau, rien n'était normal, » lâche Anita Lasker-Wallfisch, sur un ton détaché, comme pour se protéger de l'émotion qui menace de la submerger. Quand elle évoque l'arrestation de ses parents ou bien l'horreur crasse de son passage en quarantaine, avant de pouvoir rejoindre le bloc des musiciennes. Un privilège. Celui « d'avoir une chance de survivre. Quand les SS avaient besoin de vous, ils ne vous envoyaient pas dans la chambre à gaz ».

Samedi soir à Saint-Nazaire, en préambule au festival de musique de chambre Consonances, Anita Lasker-Wallfisch a raconté cette histoire pour la première fois en France. Longtemps, elle l'a gardée pour elle. Jusqu'à ce que ses enfants l'interrogent, il y a une dizaine d'années. « Ils savaient qu'il s'était passé quelque chose d'anormal dans notre famille, remarque Anita Lasker-Wallfisch. Ils n'avaient pas de grands-parents. »

Elle était incapable de dire l'indicible. Alors, elle l'a écrit. « Pour mes enfants, mais sans penser à éditer un livre. » Une journaliste de la BBC l'a invitée à lire son manuscrit à l'antenne et la violoncelliste d'Auschwitz a bouleversé l'Angleterre et alerté les éditeurs. Son livre - La vérité en héritage - a été traduit en de nombreuses langues. Elle enchaîne depuis les conférences, en Angleterre, où elle vit, et en Allemagne.« Je raconte mon passé parce qu'il est impossible de s'imaginer ce que ça veut dire 6 millions de morts. En revanche, on peut comprendre l'histoire d'une personne », estime Anita Lasker-Wallfisch.

Après Auschwitz, où Alma Rosé est morte, les musiciennes ont été transférées à Bergen-Belsen. « Qu'elle différence · À Auschwitz on était assassinées. Là, on crevait. Nous ne formions plus un orchestre. Mais nous étions toujours un groupe. Nous partagions le peu de nourriture que nous trouvions. » Jusqu'à la libération, le 15 avril 1945. Un autre parcours difficile a alors commencé: le retour à la normalité. Anita Lasker-Wallfisch est devenue une concertiste réputée et a fondé une famille.

Samedi, à Saint-Nazaire, son fils Raphaël a joué un extrait d'une suite pour violoncelle de Bach, en conclusion de la conférence de sa mère. Enfin, elle a pu laisser parler son émotion, touchée par la longue ovation debout du public.

Didier BLIN.

La vérité en héritage, d'Anita Lasker-Wallfisch, est parue chez Albin-Michel, en 1998. Le festival Consonances se poursuit jusqu'au 22 septembre, à Saint-Nazaire. Renseignements au 02 51 10 18 78 et sur www.consonancessaintnazaire.fr.

jeudi 31 mai 2007

Quelques éléments de réflexion sur les rapports entre l’histoire et la mémoire

I. Les victimes Au camp d’Auschwitz

Le nombre de victimes au camp d’Auschwitz, d’après le recensement de Franciszek Piper, historien du musée d'Auschwitz Birkenau
1,3 million de personnes ont été déportées
1,1 million de déportés y sont morts dont :
960 000 Juifs
70 000 à 75 000 Polonais
21 000 Tsiganes
15 000 prisonniers de guerre soviétiques
10 000 à 15 000 détenus d'autres nationalités (Soviétiques, Tchèques, Yougoslaves, Français, Allemands, Autrichiens, si l'on excepte les Juifs)


II. Place de ces documents dans la construction du savoir et la transmission de la mémoire de la Shoah

Rappel des faits

A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, neuf millions de Juifs vivaient en Europe, entre tradition et modernité, repli sur soi et acculturation, religiosité et laïcité ou athéisme. Pendant la Shoah, « la catastrophe » en hébreu, plus de six millions d’entre eux ont été assassinés au nom d’une utopie raciste. Marginalisation, exclusion, expulsion, déportation, enfermement dans les ghettos … autant d’étapes avant la « Solution Finale », « la liquidation de la race juive », mise au point froidement, consciencieusement par les nazis. Alors, par convois entiers, hommes, femmes, enfants ont été déportés vers « l’est », dans les camps d’extermination d' Auschwitz Birkenau, Maidanek, Chelmno, Belzec, Sobibor, ou encore Treblinka.

Dire, analyser pour ne pas oublier

Dire ce qui s’est passé, c’est d’abord témoigner. C’est ensuite « raconter » à travers la fiction cinématographique ou littéraire. C’est enfin analyser, décrypter, contextualiser, comme le fait l’historien.

Comprendre, débattre

Tous les historiens s’accordent sur la nature et l’ampleur des crimes nazis. En revanche, certaines questions font débat.
• sur la singularité ou non de la Shoah, par rapport à d'autres génocides du XX ème siècle.
• sur une certaine passivité des Juifs qui se seraient « laissés mener à la mort comme des moutons à l’abattoir ». L’isolement dans un monde indifférent sinon hostile, le manque d’armes, et sans doute, le rejet traditionnel de la violence doivent être pris en compte. Il y a eu incontestablement ce que l’on peut appeler « l’abandon des Juifs ». Mais il y a eu aussi des actes de résistance individuelle: survivre, c'est résister à l'oeuvre de destruction de toute humanité ; résistance collective aussi comme dans le ghetto de Varsovie en 1943.
• sur la complicité ou l'ignorance de ce qui s'est passé. « On savait », « On ne savait rien » : ces deux expressions sont également crédibles selon la date, l’endroit où se trouvait le témoin, les vecteurs d’information diffusée ou retenue, il faut garder à l’esprit la difficulté d’intégrer ce type de savoir et de réalité. Si s’en défendre par la dénégation a été le réflexe le plus courant, quel effort fallait-il s’imposer pour assimiler cette réalité-là ?

L’énormité du crime en a laissé plus d’un perplexe, hésitant et oscillant du doute au désarroi, du désarroi à la certitude enfin. Mais il y a fallu du temps. Les divers procès , celui de Klaus Barbie par exemple, ont permis aussi à la France d’avancer dans son devoir de mémoire et d’intégrer la notion de crime contre l’humanité dans son arsenal juridique.


Témoigner à notre tour

Les victimes ont pu dire, témoigner ce qu’ils ont vécu mais ils ont disparu ou vont disparaître.

C’ est pourquoi, il est nécessaire de transmettre cette mémoire aujourd'hui par d'autres vecteurs, d'autres acteurs. Et lutter ainsi contre l'oubli ou la négation de ces crimes. Et défendre la dignité de l'homme.


III. Rapports entre Histoire et Mémoire Quelques éléments de réflexions

Pour comprendre le rapport entre histoire et mémoire, nous devons avoir une idée claire sur le sens de ces termes.

Définitions :

L’histoire : c’est la connaissance du passé dans sa complexité. Elle repose sur une collecte et une critique des sources. Elle a une fonction sociale et civique. Elle repose sur une exigence de vérité et une pratique scientifique.

La mémoire :
c’est la représentation du passé qui prend deux sens : le souvenir au sens d’objet et l’action de se souvenir, c’est- à dire l’acte. La mémoire est sélective, complexe, plurielle. Ce n’est pas une démarche de connaissance du passé. Elle est identitaire d’un individu ou d’un groupe. La mémoire, c’est la capacité à se souvenir, à mémoriser des images du passé. A la différence de la simple imagination, la mémoire crée des images dans un référent à un existant passé. La mémoire dès lors devient une source de l’élaboration du récit historique.

L’histoire et la mémoire ont donc des points communs :

Un intérêt pour le passé ; une lecture du présent. Ainsi, la recherche historique s’est d’abord intéressée à l’étude des résistances, dans le contexte d’une vision de la France résistancialiste ; puis à Vichy ; puis à la spécificité de la Shoah. La mémoire juive est sortie du silence qu’on lui avait imposé dans les années 1960. Elle est une composante non seulement de l’identité juive, mais aussi de l’identité française aujourd’hui.
L’histoire et la mémoire combattent l’oubli, c'est-à-dire la perte durable ou définitive de ce que l’on a connu.

L’histoire et la mémoire révèlent de fortes rivalités.

En effet, la mémoire collective peut faire pression sur l’Histoire. La multiplication des mémoires subjectives fait alors apparence d’objectivité, mais elle masque souvent les enjeux politiques ou sociaux du temps présent, déformant l’histoire : la commémoration est en complète contradiction avec le travail de l’historien, en quête d’objectivité, de savoir, de connaissance. La mémoire érigée en mémorial n’a plus rien à voir avec l’Histoire Comme Kant le disait, l’Histoire ne doit pas « être la servante » de la mémoire.

Le témoignage ou la mémoire au service de l’histoire pour lutter contre l’oubli :

« La mémoire se transmet, l’histoire s’enseigne ». Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut savoir puis transmettre

Les différents ensembles mémoriaux sont tous convaincus de la nécessité de lutter contre l’oubli. Une revendication qualifiée de « devoir de mémoire ». Plus le groupe « porteur » de cette mémoire est structuré, plus sa reconnaissance sociale est grande et plus grande alors est sa reconnaissance officielle. Les porteurs de ces mémoires aujourd’hui sont en train de disparaître. Ils recherchent un maintien mémoriel via des associations- relais et se tournent vers le monde enseignant. C’est dans ce cadre que le Mémorial de la Shoah a organisé le voyage d’étude à Auschwitz.

« Personne ne peut imposer un devoir de mémoire aux jeunes générations. La parole de l’adulte qui sait, du professeur qui affirme, qui dit où est le Mal et où est le Bien, ne peut être suffisante pour déclencher la prise de conscience, par les élèves, de la particularité de la Shoah. C’est l’élève lui-même, à travers ses tâtonnements, qui doit se construire une mémoire, une conscience basées sur une connaissance rigoureuses des faits. »
Dominique Natanson, J’enseigne avec l’Internet, la Shoah et les crimes nazis.
Autrement dit, il y a d’abord l’obligation d’un « travail d’histoire » sur cette question. Ensuite, l’obligation d’un travail de mémoire, donc de témoignage : ici, témoignage sur ce qui a été entendu (paroles de déportés), et vu (visite du camp).

C’est ce que nous avons essayé de faire.


IV. Petit lexique à propos de la Shoah

Camps de concentration : ouverts dès mars 1933 en Allemagne, ils étaient à l’origine destinés à la « rééducation » des antinazis et des individus considérés comme asociaux. Avec la guerre, ils se sont multipliés pour recevoir les résistants et opposants de presque toute l’Europe.

Camps d’extermination : « centres de mise à mort » selon Raul Hilberg ou camps dans lesquels les Juifs et des Tziganes étaient assassinés. Au nombre de six, ils étaient situés en Pologne : Belzec, Chelmno, Sobibor, Treblinka, Auschwitz et Majdanek.

Camps d’internement : camps français créés sur l’ensemble du territoire dès 1938 afin d’y accueillir les républicains espagnols réfugiés, puis à partir de septembre 1939 les exilés allemands et autrichiens ayant fui le nazisme, mais considérés comme ressortissants d’un pays ennemi de la France. Ils ont servi ensuite de centre de regroupement pour les Juifs avant que ces derniers ne soient transférés vers le camp de Drancy d’où partaient les convois vers les camps de la mort.

Crime contre l’humanité : exécution d’un plan concerté (génocide, extermination, déportation, esclavage) inspiré par des motifs politiques, religieux, raciaux perpétré à l’encontre de tout ou partie d’un groupe de population civile. C’est un crime de droit international défini en 1945 par l’Organisation des Nations Unis.

Génocide : mot forgé en 1944 pour définir la destruction systématique d’un groupe humain que ce soit pour des raisons ethniques, religieuses ou politiques.

Ghetto : mot d’origine italienne désignant, à partir de la Renaissance, les quartiers juifs des ville d’Europe. Durant la Seconde Guerre mondiale, les Juifs d’Europe centrale ont été enfermés par les nazis dans des ghettos dont ils ne pouvaient pas sortir.

Kapo : détenu le plus souvent de droit commun, responsable d’un commando (« kommando ») de travail.

Kommando : détachement de détenus affectés à une tâche. Ce terme désignait aussi le lieu détention fixe ou provisoire dépendant d’un camp de concentration de même que les détenus qui le constituaient.

Négationnisme : doctrine niant la réalité du génocide des Juifs par les nazis et l’existence des chambres à gaz.

Solution finale : expression employée par les nazis pour désigner de manière codée l’extermination des Juifs.

Shoah : signifie catastrophe en hébreu et désigne l’extermination des Juifs en Europe par les nazis.

Totalitarisme : pratique d’encadrement de la société au sein de structures qui ont pour objet de « transformer l’homme » en le modelant sur l’objectif idéologique que s’assigne le régime, ici la prédominance de la race aryenne. : donner à la masse de la population une volonté collective, absorber l’homme sous tous ses aspects dans le tout idéologique racial.

Impressions d’élèves …


La visite du camp d’Auschwitz a été très riche en émotions et en enseignements.

En effet, voir les conditions dans lesquelles les déportés vivaient ne peut pas laisser indifférent. De plus, les lectures que nous avions faites avant la visite nous ont permis de confirmer et même d’intensifier nos craintes, nos visions horribles de ce que pouvait être la vie dans ces camps.

L’immensité du camp nous a montré à quel point celui-ci avait de l’importance dans la politique d’extermination. Auschwitz était une « usine de la mort », rationnellement organisée. Le fait d’être face à cette réalité, même si celle-ci appartient au passé, nous a permis d’imaginer ce que subissaient les déportés.

La présence d’un ancien déporté qui nous a accompagné, ce dont nous le remercions, Charles Zelty, a été une grande chance pour nous. En effet, il nous a expliqué de façon simple et pudique ce qu’il a vécu, ce qu’il a ressenti. Nous avons donc eu le témoignage vivant d’une personne qui a subi cette déportation. Après nos lectures ce témoignage et la visite du camp nous ont permis de mettre du sens sur ce que nous imaginions, sur les conditions de vie, de travail et les sentiments des déportés.

Cette visite nous a donc apporté beaucoup et nous sommes maintenant des témoins de cet événement passé que fut la Shoah. Notre rôle est désormais de témoigner à notre tour non de ce que nous avons vécu mais de que nous avons appris, vu et de ce qui nous a été dit sur la déportation en général et sur Auschwitz en particulier. Cette visite restera à jamais gravée dans nos mémoires.

Si c’est un homme, Primo Levi, 1947


Si c’est un homme, intitulé à l’origine Se questo è un uomo, est avant tout le témoignage d’une victime des camps de concentration et d’extermination nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.

Un besoin de partager son expérience et d’étudier l’âme humaine

Primo Lévi commence l’écriture de cet ouvrage pour satisfaire un besoin qui l’obsède : partager son expérience du camp. En 1945, il est contacté pour écrire une sorte de rapport technique sur le fonctionnement du camp d’Auschwitz. Lévi se bat pour faire publier son livre mais les maisons d’édition le lui refusent à un moment où on tente d’oublier, de tourner la page. Le livre est tout de même publié pour la première fois en 1947 à 2500 exemplaires et passe totalement inaperçu. Ce n’est qu’à partir de 1963 que le livre commence à se faire connaître et à être traduit dans de nombreuses langues.
Si c’est un homme raconte son expérience du camp d’Auschwitz durant la Seconde Guerre mondiale. Ce livre est un récit du quotidien pénible et de la lutte pour sa survie. Il y explique avec de nombreux détails le principe de déshumanisation entrepris par les nazis, la hiérarchie parmi les déportés, les conditions de survie et l’amitié qui peut naître entre les déportés. Ce livre est encore aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs témoignages sur la Shoah.

Dans son œuvre Primo Lévi a donc une volonté de se libérer d’une expérience insupportable, de témoigner pour que cela ne se reproduise pas. Dans la préface qu’il a écrite en janvier 1947, l’auteur fait part de son intention : témoigner et rendre compte de l’état d’esprit qui régnait dans ce camp et proposer « une étude dépassionnée de l’âme humaine. » en fournissant une base, un document qui relate des faits réels, vécus à cette époque.

Lancer un signal d’alarme

Dans sa préface, Primo Lévi évoque bien son intention d’écrire pour que « l’histoire des camps d’extermination retentisse pour tous comme un signal d’alarme ». Cette phrase montre bien l’intention de l’auteur d’écrire pour dénoncer et prévenir

La préface du livre est suivie du poème suivant :

Vous qui vivez en toute quiétude Bien au chaud dans vos maisons, Vous qui trouvez le soir en rentrant La table mise et des visages amis, Considérez si c’est un homme Que celui qui peine dans la boue, Qui ne connaît pas de repos, Qui se bat pour un quignon de pain, Qui meurt pour un oui pour un non. Considérez si c’est une femme Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux Et jusqu’à la force de se souvenir, Les yeux vides et le sein froid Comme une grenouille en hiver. N’oubliez pas que cela fût, Non, ne l’oubliez pas : Gravez ces mots dans votre cœur. Pensez-y chez vous, dans la rue, En vous couchant, en vous levant ; Répétez les à vos enfants. Ou que votre maison s’écroule, Que la maladie vous accable, Que vos enfants se détournent de vous.

Primo Lévi a écrit ce poème afin de faire comprendre au lecteur « l’esprit » de l’œuvre, quel est le but d’une telle œuvre. Ce poème est donc un véritable appel à la réflexion.

Dans l’appendice écrit en 1976, Primo Lévi précise bien l’importance d’un tel ouvrage en distinguant deux catégories d’individus parmi ceux qui ont vécu l’expérience des camps : ceux qui veulent oublier sans y arriver, refouler ce qu’ils ont vécu et tenter de reconstruire leur vie, et ceux, comme lui, pour qui se souvenir est un devoir, il ne faut pas oublier et montrer que les camps n’ont pas été un accident de l’Histoire et que ceci peut se reproduire si on ne se force pas à garder en mémoire ses atrocités et garder à l’esprit que cela ne doit en aucun se reproduire.

Lancer un signal d’alarme : comment le passé peut-il aider à comprendre le présent ?

Un témoignage se définit par sa capacité à rapporter un événement vécu une personne. Celui ci sert à partager et communiquer aux autres son expérience. Rendre compte de l'état d'esprit des gens à une période donnée et dresser la chronologie des faits, c'est d'abord cela un témoignage. Le témoignage de Primo Lévi sur le camp d’Auschwitz peut permettre de se construire un savoir sur le passé et mettre en garde sur les menaces du présent.

Pour que les personnes d’aujourd’hui puissent savoir ce qui s’est passé, il faut témoigner pour qu’une telle folie ne se reproduise pas, pour éviter l’irréparable, comme pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette « folie » nous concerne encore aujourd’hui : de nouvelles menaces terroristes, racistes, antisémites et xénophobes planent au-dessus de nos têtes. De plus, après la Shoah, d’autres génocides se sont produits comme au Cambodge, au Rwanda ou en ex-Yougoslavie. Ces actions sont terribles et personne n’a le droit de tuer des hommes, des peuples, simplement parce qu’ils ne suivent pas la même religion, n’ont pas les mêmes coutumes ou fait les mêmes choix de vie que la majorité. Personne n’a le droit de tuer sous prétexte que tel ou tel individu est différent, par peur de l’autre. Cependant si nous n’avons pas le droit de tuer, nous avons le devoir d’informer, de tenir les nouvelles générations au courant de ces atrocités pour que cela ne se reproduise pas, pour que l’on réalise jusqu’où cela peut nous mener. Informer, pour ne pas oublier.
Dire les raisons absurdes de ce génocide, dire l’horreur, c’est un devoir pour le présent.

Les témoignages permettent de lutter contre l'oubli mais aussi contre les déformations, les erreurs et les fausses interprétations qui peuvent êtres faites au sujet de cette sombre période de l'Histoire de l'Humanité. Dans Si c'est un homme, Primo Lévi fait un récit fidèle des événements, et évoque la mémoire de ceux qui ont vécu le Lager avec lui. Mais il y a aussi autre chose dans cette œuvre : tous les commentaires que Primo Lévi fait, a posteriori, sur le drame vécu par des millions de personnes. Ces commentaires dénoncent « tout le mal de notre temps » que l'auteur résume en une seule image, en une vision qui lui est familière, comme il le dit lui-même, celle d'un « homme décharné, le front courbé et les épaules voûtées, dont le visage et les yeux ne reflètent nulle trace de pensée. »

L’espèce humaine, Robert ANTELME, 1947


Un rescapé témoigne

Robert ANTELME a écrit ce livre en mémoire de sa sœur Marie- Louise déportée et morte en Allemagne. Il y relate aussi son expérience personnelle au sein du camp. En effet l’auteur, qui est ici aussi le narrateur, fut tout comme sa sœur, déporté. Arrêté comme résistant en juin 1944, il fut envoyé à Buchenwald puis à Gandersheim et enfin à Dachau et c’est ainsi, en tant que victime, qu’il témoigne de l’absurdité et de l’atrocité du camp de concentration. C’est donc à travers les yeux de l’auteur que nous observons la vie dans les camps. Ce livre reflète bien la différence entre un camp d’extermination, où la mort survient en particulier par élimination physique (chambres à gaz, fusillades, fours crématoires…) et un camp de concentration où la mort cette fois ci survient de manière lente, peut être même encore plus douloureuse moralement par rapport à un camp d’extermination du fait de la durée. La mort ici est effectivement causée par le travail pénible et physique en particulier mais aussi par la faim, le froid, le manque d’hygiène (l’insalubrité), les maladies. On pourrait tout simplement parler d’une mort due essentiellement à l’exténuation et à l’attente de la libération qui ne vient pas. Le déporté dans le camp de concentration est non seulement tué physiquement mais aussi moralement.

Première partie : le sentiment d’abandon du déporté au camp de Gandersheim

Tout d’abord dans la première partie, le narrateur est dans le camp nommé Gandersheim. C’est un moment du livre où l’on voit comment l’on voulait faire du déporté un sous- homme ou plutôt cette partie nous révèle comment l’on voulait lui faire admettre son infériorité, la lui faire accepter. C’est dans ce contexte de survie en tant qu’homme pour ne pas oublier qui il est que chacun dans le camp mène sa lutte, son combat. Cette majeure partie du livre nous fait voir que l’instinct de survie réveille son côté égoïste, on pourrait parler d’un «chacun pour soi ». De sorte que, confronté à la mort, va s’établir (à travers le mépris, la rivalité et la domination) une hiérarchie entre les déportés. Certains déportés cherchant effectivement à « plaire » au SS en méprisant, en dominant les « copains », pour montrer qu’il valent mieux que les autres détenus. Toutefois subsiste une faible solidarité entre les déportés en lien avec leur nationalité ; on trouve effectivement tout au long du texte « les Français », « les Polonais », « les Italiens », « les Russes »…. Mais on peut aussi reconnaître un lien qui s’établit entre ces hommes du fait du nouveau statut imposé et partagé de « déporté ».
De plus cette partie nous révèle la misère du déporté, misère « cachée » au monde extérieur. Certains sont effectivement au courant de ce qui se passe dans le camp mais préfèrent se taire. En effet, l’homme libre ne veut pas savoir l’existence du camp même s’il en a tout de même la capacité, la possibilité, par lâcheté ou par peur. De telle manière que finalement il se contente d’accepter ce fait. Il se fait ainsi le complice du SS, en étant autant coupable que lui. Quant au déporté son espoir s’affaiblit progressivement jusqu’à s’éteindre dans la mort. Mais à la fin de cette première partie, cet espoir commence à renaître avec l’arrivée des alliés annoncée par les coups de canons dans la nuit du 4 avril.

Deuxième partie : la route ou l’espoir mais pas pour tous

C’est sur cette voie que nous en arrivons à la deuxième partie dont le titre est « La route ». L’approche des alliés observée à la fin de la première partie provoque l’évacuation du camp. Tout cela car les nazis ne veulent pas dévoiler la réalité du camp. Le SS veut rester responsable du déporté jusqu’à la « fin ». Une fin qui peut « sur la route » s’avérer être ou la mort ou la libération. On peut voir ce fait sous l’angle soit d’une délocalisation de l’appareil concentrationnaire ou soit sous l’aspect d’un maintien d’otages.
La non assurance de sa libération va ainsi faire naître chez le déporté une nouvelle peur. Une nouvelle angoisse due au fait qu’il pourrait être tué à tout moment. Cette angoisse va tout d’abord se concrétiser par l’élimination physique des malades, des faibles et des invalides (P227 « les tuberculeux » font partie des déportés éliminés). On élimine en effet celui qui pourrait retarder la fuite du SS. Cette élimination révèle à ce moment du texte la faiblesse morale du déporté. L’on aurait pu croire possible une rébellion de la part de l’ensemble des déportés mais l’exécution des malades avant l’évacuation n’a étonnement suscité aucune réaction. Cela est probablement dû à l’exténuation physique et morale du déporté. D’autant plus que sur la « route » aura lieu d’autres éliminations ces fois ci tout simplement voulues par les « responsables ». Des éliminations qui s’opèrent par de simples sélections. On pourrait dire que le SS veut emporter le déporté dans sa défaite.
Sur « la route », le déporté demeure, dans la faim qui est encore plus pénible qu’au camp, mais aussi dans l’ignorance du temps. Il n’a en effet aucun repère temporel ni spatial. Sur la route, entre les kilomètres à pieds, la faim, le froid, l’exténuation, le déporté n’a d’autres choix que de s’abandonner à la mort. L’évacuation a commencé à Gandersheim le 4 avril et se termine à Dachau le 27 avril en passant par Bitterfeld le 14 avril. Soit 23 jours de fuite dans la faim, la fatigue, la saleté ; tout cela en côtoyant la mort. Les déportés voient en effet le copain mourir de l’attente, c'est-à-dire l’attente d’être libéré en passant 13 jours entassés dans les wagons d’un train sur la route de Bitterfeld.

Troisième partie : la libération, la solitude

La route de Bitterfeld à Dachau nous amène à la dernière partie du livre, « La fin ». On dirait plutôt qu’à Dachau c’est la fin d’un camp qui a tout de même duré douze ans. La fin de l’oppression du SS allemand. Le déporté français est pris en charge par d’autres français de Dachau. La libération s’est réellement opérée le 30 avril. C’est en effet à cette date que « pour la première fois depuis 1933, des soldats sont rentrés » dans Dachau ; « des soldats qui ne voulaient pas le mal ». Car cette histoire tout simplement « inimaginable », cette catastrophe nazie comme le désigne le terme de shoah ne peut être qu’inimaginable, puisque l’histoire de l’homme en tant que déporté ne veut pas être sue. Celui qui ne l’a vécu ne peut réellement le savoir ou le croire. On ne veut non seulement pas le comprendre à la Libération mais on ne peut le comprendre. Le déporté demeure donc au final seul. On voit d’ailleurs que à peine libéré, il est mis à l’écart, il reste tout de même l’intouchable, le sale, le maigre, le méconnaissable. Pour les Alliés, les faits rapportés par le déporté sur la vie dans le camp de concentration sont tout simplement inimaginables. Le monde extérieur ne veut pas avoir accès à ce savoir effroyable (P 317 : « Frightful, yes, frightful ! Oui vraiment effroyable »). Tout à la fin, le déporté dit au narrateur « wir sind frei » (nous sommes libres), or cela reste tout de même ambiguë car le déporté même en étant libre reste emprisonné par cette histoire qu’est la sienne. Non seulement il le dit en allemand, la langue du SS « ce qui remet en cause sa liberté » ; mais il éprouve aussi des difficultés à relater son vécu étant donné que « l’autre » qui n’a pas été déporté, celui du monde extérieur ne peut avoir la même vision du camp que lui, il ne veut pas, il ne peut pas se mettre à sa place.

Le sens du livre

Finalement on peut admettre que L’espèce humaine nous révèle la solitude de l’homme face à la souffrance, la mort. Une souffrance qu’il ne peut partager. Non seulement cela nous montre que la nature a fait de l’homme un être qui, confronté à la question de la survie, laisse de côté toute forme de lien, d’unité ou plutôt de solidarité avec autrui. Mais cela pourrait aussi expliquer l’incompréhension à laquelle va être confronté le déporté à la suite de sa libération. De sorte, qu’en conclusion, peut être sommes nous en mesure de dire que l’homme reste toujours seul. Ce livre révèle aussi probablement l’aspect animal de la nature humaine, cet instinct de survie. De telle sorte que le déporté se conduirait autant que le SS comme une bête, un animal.

Je me suis évadé d’Auschwitz, Rudolf Vrba, J’ai lu, 2005

Le livre se compose de deux parties : un récit et un rapport

C’est d’abord le récit d’un jeune résistant Hongrois, Rudolf Vrba, (matricule 44 070) et de son ami Fred Wetzer, qui ont passé près de deux ans dans le camp d’extermination d’Auschwitz parce que juifs et ont réussi à s’enfuir.
Ce livre nous donne à voir la vie dans le camp, les sélections, le travail. Il témoigne aussi de l’extraordinaire force de caractère de ces hommes qui résistent : survivre pour témoigner.

Leur évasion leur a permis de révéler la barbarie nazie : ainsi, dès qu’il a pu gagner le maquis en Tchécoslovaquie, R. Vrba rédige un rapport sur le camp d’extermination : il dessine une esquisse d’ Auschwitz I et Birkenau avec l’emplacement des chambres à gaz et des crématoires. Il explique le fonctionnement du camp avec sa hiérarchie, le classement des détenus identifiés par des triangles de couleurs différentes. Il dresse la liste des convois avec le nombre et la nationalité des détenus entrés, (ce qui révèle une mémoire phénoménale). Il met en garde contre les projets des Nazis de liquider tous les Juifs hongrois. Le document est remis le 25 avril 1944 au chef de la communauté juive de Hongrie qui doute de la véracité, de l’énormité de la chose. Puis aux Alliés qui doutent eux aussi. C’est en vain que R. Vrba a témoigné : quatre cent mille Juifs hongrois seront assassinés. Et R. Vrba est entré dans la Résistance !
Dans ce récit, R. Vrba s’en tient aux faits, mais quelle leçon d’humanité, de courage, de force. Il a même le sens de l’humour quand, de retour chez sa mère, lui qui revient de l’enfer, qui a vu mourir 1 760 000 personnes il rapporte (p 347) :
- « Tu es un garçon impossible, finit-elle par dire. Tu ne m’as même pas écrit une seule fois, tu ne m’as même pas envoyé ton adresse. »
- « Excuse moi maman c’était un peu difficile, on n’arrêtait pas une minute. »

Le rapport de Vrba a figuré parmi les pièces d’accusation au procès de Nuremberg. Tous les chiffres donnés se sont révélés exacts sauf celui sur le nombre des déportés français : 76 000 au lieu de 150 000, comme il l’a écrit.

MAUS: « Un survivant raconte » , « Et c’est là que mes ennuis ont commencé », Art Siegelman, Flammarion 1999


Adolf Hitler : « les Juifs sont indubitablement une race, mais ils ne sont pas humains ». Une citation en première page du livre.

Art Spiegelman raconte une histoire de souris, de Juifs.

Art Spiegelman, un auteur américain, a fait deux bandes dessinées : Maus un survivant raconte puis Et c'est là que mes ennuis ont commencé. L’auteur est né en 1948, quelques années après la fin de la guerre, de parents juifs, anciens détenus du camp d’extermination d’Auschwitz en Pologne.

Les deux livres se présentent sous forme de bandes dessinées en noir et blanc, ce qui donne un côté encore plus sinistre à l'histoire. Les personnages prennent la forme d'animaux : les Juifs sont représentés par des souris, les Nazis par des chats, les Américains par des chiens, les Polonais par des cochons, les Français par des grenouilles, ....Tout est fait pour rendre la lecture accessible au plus grand nombre : des personnages très typés, facilement identifiables, des textes courts et illustrés.

Des allers et venues entre le passé et le présent

L'auteur associe le présent et le passé. Il écrit son texte au fur et à mesure qu'il interroge son père qui a survécu à l’extermination. Le texte nous dévoile les conditions de vie abominables, la souffrance, les réactions d'une personne ayant vécu dans le camp d'Auschwitz. En effet nous savons à quel point il était difficile de survivre dans les camps mais à travers ce livre nous avons l'impression de subir avec les déportés toutes les horreurs qu'ils ont vécues : la faim puisqu'ils ne mangeaient qu'un morceau de pain et une ration de soupe par jour, les mauvais traitements, le travail extrêmement épuisant ; mais aussi les vols entre détenus qui obligeaient à garder ces affaires sur soi. Mais aussi l’entraide entre déportés. Pour survivre, il fallait surtout être très intelligent et débrouillard, avoir beaucoup de chance pour échapper à la sélection. Il fallait aussi faire preuve d’une incroyable volonté de survire. Dans la BD, les souris se font humaines, plus humaines que leurs bourreaux, les chats, qui ont perdu tout sens de l’humain.

Mais ce livre nous informe aussi sur la vie des parents d'Art avant la guerre, notamment le moment de leur rencontre, instants de bonheur ordinaires de gens ordinaires, avant la catastrophe, ce qui rend l'histoire bien réelle et encore plus émouvante.

Intérêt du livre

Cette bande dessinée, écrite à partir du témoignage d’un survivant , peut avoir une place importante dans la transmission de la mémoire de la Shoah aujourd’hui auprès des jeunes pour qui ce passé est d’un autre temps. Elle suggère une réalité incommensurable et invite à s’interroger sur le comment, le pourquoi de l’extermination, sur la dignité de l’homme.

Les deux morts de Hannah K., Renaud Meyer


L’histoire d’une femme juive

« Aujourd’hui, Hannah est morte à l’hôpital, j’ai appris qu’elle était folle. Au début, je ne pouvais pas la sentir, la vieille du dessus. Elle volait mes courriers, déposait ses ordures devant ma porte et jetait son eau de vaisselle sur mes carreaux. Un soir, elle s’est fait agresser, je l’ai sauvée et je suis devenu son ami. Au hasard de nos rendez-vous, elle m’a raconté les épisodes de sa vie. Son désir, petite-fille, de devenir rabbin, le théâtre de Varsovie dans les années 1930 et sa liaison avec Louis Jouvet. J’ai fini par découvrir dans la cave de ma voisine, qui s’appelait en réalité Anna, des carnets rédigés dans le ghetto de Varsovie par une certaine Hannah .K . Maintenant, je réalise qu’elle m’a probablement raconté la vie d’une autre. Ce soir, je partirai à la recherche de la vérité. »

C’est ainsi que Renaud Meyer illustre ses écrits sur la quatrième de couverture, dans Les deux morts d’Hannah. K. A travers ce roman, le narrateur Arnaud Lagrange découvre et suit petit à petit la vraie vie d’Hannah. K, Mme Krzysztifik.

Explication sur le titre

Il y a deux morts. La première est celle de madame Krzysztifik, morte de vieillesse, à l’hôpital, qui souffrait d’un dédoublement de personnalité. Elle se prenait pour l’autre « Hannah.K »qui fut une grande actrice. C’est pourquoi, la seconde est plus tragique. Celle-ci était pris à partie avec sa famille dans le ghetto de Varsovie et mourut en 1942 à Treblinka.

Temps présent et temps passé

La construction narrative des six chapitres est fondée sur la juxtaposition de deux époques distinctes : notre époque contemporaine et celle de Seconde Guerre mondiale. En effet, l’histoire commence à Paris, en 1987 quand Arnaud Lagrange et Hannah, après des relations de voisinage très tendues, sont amenés à faire plus ample connaissance dans des circonstances fortuites : Hannah.K est agressée par un voyou et est sauvée par Arnaud Lagrange. Leurs relations changent : ennemis hier, les voilà devenus des amis inséparables. Hannah.K se confie et commence à raconter son histoire.

Elle est née à Lodz en Pologne, de parents juifs. D’abord passionnée de religion puisqu’elle voulait devenir rabbin, elle était aussi très douée au violon. Finalement, elle devint actrice. C’est sur les planches, qu’elle rencontra son futur mari, Anatoli et de grands artistes comme Jouvet, avec qui elle deviendra intime, Giraudoux et Marcel Carmé. Ces derniers sont beaucoup plus préoccupés par la situation politique qu’Hannah.K. qui fait preuve alors d’insouciance ou d’inconscience : « La place des juifs, même ici en France n’est pas des meilleures, les propos s’enveniment. Hitler est fou et Laval est un jean-foute » (p39).

Le livre s’appuie sur des faits historiques réels (la traque des Juifs dans le ghetto de Varsovie), cite des personnages ayant réellement existé (Louis Jouvet, Giraudoux) et emploie à de nombreuses reprises des mots en hébreu et en yiddish (kippa, ketouba) liés à la culture juive.

Mais un jour, Arnaud Lagrange apprend la mort brutale de son amie.

Avec l’autorisation de son neveu, il fouille et trouve quelques carnets de notes : il découvre ce que son amie ne lui a pas dit : les mois dans le ghetto de Varsovie avec Anatoli et son fils Yitzhak. La faim, les maladies (le typhus en particulier), la peur, les arrestations, les déportations, le désespoir. Hannah résiste grâce au théâtre, à la religion et à sa famille. Les feuillets s’interrompent le samedi 5 septembre 1942.

Et après ? Arnaud Lagrange part en Pologne pour retrouver les traces de son amie et rendre à la famille ses carnets. Il y rencontre alors des directeurs de théâtre où elle a joué, des amis d’Hannah. Puis il se rend en Israël à Tel-Aviv où vit une de ses sœurs, Hanka. Il fait aussi la connaissance de Yona, sa petite-fille.

L’intérêt du livre de Renaud Meyer, Les Deux Morts D’ Hannah.K, est de montrer, à travers une fiction comment les Juifs ont vécu cette période atroce que fut la Seconde Guerre mondiale, et en particulier dans le ghetto de Varsovie. Renaud Meyer le montre à travers l’histoire banale d’une de ces victimes pour qui on ressent de la compassion et de l’intérêt.

La mort est mon métier, Robert Merle


La biographie d’un bourreau

La mort est mon métier est un roman qui retrace la vie d’un des exécutants de la « solution finale », Rudolf Höss. On voit ici que la littérature est au service de la mémoire, en se plaçant du point de vue des bourreaux, ce qui est rare. On peut donc voir l’envers ou plutôt l’enfer du décor. Robert Merle a fait un travail poussé d’historien en décrivant les multiples procédés des nazis dans l’extermination du peuple juif. Il n’épargne aucun détail choquant et écœurant. Vraiment intéressant mais démoralisant lorsque l’on est confronté à tant d’atrocités réalisées avec tant de froideur… Et le fait que l’auteur emploi la première personne, je, donne encore plus d’ampleur. Tout cela mis en parallèle avec une vie de famille à peu près comme les autres, on croirait presque un homme normal et pourtant… Et pourtant, cet homme devient SS et le créateur des fours crématoires !

Un roman plein de vérité sur la condition humaine

Ce roman a le mérite de mettre en évidence que tout le processus et déshumanisé. En effet, les bourreaux comme les victimes deviennent des animaux, ou pire encore pour les victimes car on parle même d’unité. De sorte que les bourreaux sont conditionnés, comme des chiens dressés à obéir et surtout à ne pas penser ; et les victimes n’ont plus que leurs instincts de survie.

On peut voir que malgré l’horreur de son geste, par la manière dont cela est raconté, c’est comme si le protagoniste ne se rendait compte de rien, que ce n’était pas sa faute : il ne faisait que répondre à son devoir et servir sa patrie. Presque capable de donner son fils si on lui avait demandé ! En fait, c’est assez bouleversant !

Une lecture à recommander

Pour conclure, il est alors possible de comprendre et de répondre à : comment en est-il arrivé là ? Mais pour ma part impossible à pardonner car observer toute la machination, la mise en place de cette immense entreprise est à vous retourner le cœur. Tout est calculé minutieusement, froidement, dans le moindre détail, à savoir combien ils vont pouvoir gazer de corps à l’heure ! Car il faut du rendement. Et cette odeur qui se dégage des fours où ils brûlaient les corps ; j’avais l’impression de sentir ce gras…

Lecture que je recommande car elle permet une autre vision : celle d’un bourreau, de sorte que ça aide à comprendre mais j’insiste comprendre ne signifie pas pardonner !

Auschwitz, Pascal CROCI, 2000


Ce livre se présente sous la forme d’une bande dessinée en noir et blanc. A la fin de l’album, on trouve une interview de l’auteur qui explique sa démarche avec croquis, esquisse, glossaire…

Un récit bouleversant inspiré de survivants.

C’est une fiction sur le camp d’extermination, basée sur de nombreux témoignages de survivants que l’auteur a rencontrés. Il cite d'ailleurs l'un d'entre eux, Maurice Minkowski, en guise de préface à son ouvrage:
" Et combien de temps êtes vous resté dans le silence?
" Cinquante deux ans. Je vous le dis, avant, on ne s'intéressait pas à tout ça... "

L'histoire débute en 1993 en ex-Yougoslavie: le vieux Kazik et sa femme Cessia se souviennent d'Auschwitz...
L’auteur retrace l’histoire d’un couple de juifs polonais et leur fille, déportés dans le camp de la mort.
Le processus d'extermination massive des Juifs est donc le sujet central de cette bande dessinée qui nous raconte, de l'arrivée au camp d’Auschwitz jusqu'à son abandon par les nazis, des scènes quotidiennes de la vie de milliers et de milliers de détenus qui sont passés par là, à travers le récit de Kazik et de sa femme.

Le réalisme du dessin, des mots pour dire l’horreur

Dès les premières bulles de la bande dessinée on peut lire :

A l'aube des temps, les chrétiens avaient déclaré: « vous ne pouvez pas vivre parmi nous comme juifs ... »
Au haut Moyen Age : « vous ne pouvez plus vivre parmi nous ... »
Enfin, les nazis décrétèrent : « vous ne pouvez plus vivre".

L’histoire de Kazik et de sa femme est bouleversante, dessinée de façon réaliste dans le but de sensibiliser les lecteurs à ce qui s’est passé. Pascal Croci a volontairement évité tout esthétisme dans la réalisation de ses dessins. En choisissant un dessin réaliste, il ne représente pas Auschwitz de manière symbolique. Bien au contraire, il retranscrit directement l'enfer des camps et entraîne le lecteur dans une atmosphère glauque et morbide.
L'horreur est visible sur chaque dessin. La panique, la peur, la terreur, la mort, sont visibles sur les visages en gros plans des Juifs, la haine sur celui des Allemands...
Les dialogues, comme les dessins, sont sans ambiguïtés et le lecteur a un profond sentiment de malaise.

"Ici on entre par la porte et on sort par la cheminée", affirmait un détenu à Kazik...

On peut également de la bouche d'un Allemand des paroles aussi terrifiantes que : "La politique que nous menons est nécessaire pour le bien de l'humanité ... Combattre la peste juive, les anéantir pour toujours, sans exception... "

La place de ce document dans la construction de la mémoire est très importante car il permet de marquer les consciences et ainsi faire que ces actes odieux et inhumains ne se reproduisent jamais.
Pascal Croci n'a ainsi rien voulu cacher, mis à part la mise à mort des Juifs dans les chambres à gaz qui n'est pas directement représentée. Elle est seulement suggérée par les détenus qui montrent la fumée qui sort des fours crématoires (ils savaient très bien de quelle fumée il s'agissait)... Et par le biais de Kazik qui, en tant que membre du Sonder Kommando, le "commando spécial" qui devait nettoyer les chambres une fois l'extermination finie, a vu les morts de ses propres yeux. Il témoigne que, "là où le Zyklon avait été versé ... les gens étaient blessés, souillés, sanglants, saignants, des oreilles, du nez, ils s'étaient débattus, combattus, certains gisaient sur le sol, à cause de la pression des autres, il étaient totalement méconnaissables...".

Et cette atrocité, Pascal Croci l'a dessinée. Ses dessins éveillent chez ses lecteurs un réel et profond sentiment de malaise, tellement l'horreur est bien retranscrite, tellement les dessins sont poignants, terrifiants, bouleversants...

L’intérêt de cette bande dessinée

Dans cette B.D. Pascal Croci ne cherche pas à expliquer de façon exhaustive la "Solution finale". Il cherche juste à sensibiliser les nouvelles générations au devoir de mémoire (comme lui-même à été très sensibilisé, d'où la réalisation de ce projet).

Cette B.D., dont le rôle éducatif est renforcé en fin d'ouvrage par un lexique des termes utilisés pour parler de la Shoah (aryen, camp de concentration, camp d'extermination, chambre à gaz, etc.) a ainsi un but : que personne n'oublie les millions de victimes du nazisme.

Car, comme le vieux Kazik l'affirmait :

"On ne peut pas oublier ça".

ET

"Parce qu'après Auschwitz, il existe encore des hommes pour tuer d'autres hommes, d'autres crimes contre l'humanité sont à craindre"...

Auschwitz, la solution finale, Annette Wievorka, Tallandier, 2005



Pourquoi cette publication en 2005 ?

Le 27 janvier 1945, les soldats de l'Armée rouge entrent dans l'immense complexe d'Auschwitz. C’est le 60 ème anniversaire au moment de cette parution. Le 18 octobre 2002, les ministres européens de l'Education, réunis au Conseil de l'Europe, décident d'établir dans les établissements scolaires des 48 pays signataires de la Convention culturelle européenne, une journée à « la mémoire de l'Holocauste et de la prévention des crimes contre l'humanité ». La plupart des pays - dont la France - ont choisi la date anniversaire de la libération des camps d'Auschwitz.

Où en est la recherche historique sur Auschwitz ?

Le nom d'Auschwitz s'est imposé à la conscience universelle comme le symbole de la Shoah et comme celui du Mal absolu. Parce que le devoir de mémoire est une coquille vide s'il ne s'accompagne pas du devoir de connaître, cet ouvrage, qui rassemble les articles publiés dans la revue L'Histoire par les plus grands spécialistes - français et étrangers-, présente et analyse les différentes étapes du génocide des juifs, en s'arrêtant sur :

• les mécanismes de l'extermination
• le rôle des spectateurs, résistants et complices
• l’histoire et la mémoire du génocide


Intérêt et limites de l’ouvrage

Ce livre se présente sous la forme d’une suite continue et reliée d’analyses de périodes différentes de l’histoire, de chiffres importants, de plans, de textes, de citations qui permettent de mieux comprendre la « logique nazie » et l’ampleur de ce cataclysme.

Mais, si ce livre apporte beaucoup de détails et d’informations, il les expose à la suite sans créer une réelle histoire chronologique. Il a beau être très complet et intéressant sur certains points, ce livre n’arrive pas à passionner le lecteur. C’est un instrument de travail pour mieux connaître et comprendre ce qui s’est passé. Il s’adresse donc plus à des spécialistes qu’au grand public

L'histoire de la Shoah, Georges Bensousan, PUF, Que sais-je, 2006


Le sujet

« Entre 1939 et 1945, l’Allemagne nazie, secondée par de nombreuses complicités, a assassiné entre 5 et 6 millions de juifs dans le silence quasi complet du monde. Le temps lui a manqué pour détruire le peuple juif tout entier comme elle l’avait décidé. Telle est la réalité brute du génocide juif, en hébreu « shoah ».

C’est donc par ces propos que Georges Bensoussan, dans Histoire de la Shoah, nous rappelle les heures sombres du génocide visant le peuple juif.

Une histoire en six étapes

Georges Bensoussan aborde la question de façon chronologique en dégageant six points. Il appuie son travail sur une immensité documentation d'archives, sur de nombreux témoignages bibliographiques et filmiques, la presse. Cartes et tableaux chiffrés accompagnent la démonstration.

1. Il explique comment les Juifs ont été « balancés » entre la volonté d'assimilation et le repli communautaire dans l'Europe d'avant-guerre, montrant l'extrême diversité de la situation des Juifs de l'ouest et de l'est.

2. On voit aussi comment les Juifs d’Europe dans l’entre-deux-guerres ont subi la montée en puissance de l’antisémitisme, du racisme et du communautarisme. Entre 1933 et 1939, l’Allemagne autorise légalement et progressivement l’exclusion de tous les Juifs d’ Europe en application des lois raciales de Nuremberg de1935 fondées sur le mythe des races. C’est aussi « La Nuit de Cristal », actes de violences contre les personnes et les biens juifs en Allemagne et en Autriche en 1938.

3, Puis suit une politique chaotique entre 1939 et 1941. C’est le début de la Shoah avec les premiers ghettos, les conseils juifs, premières exactions des Einstzagruppens, forces des commandos spéciaux. C’est bien là le commencement de la tuerie de masse avec les exécutions massives.

4. L'invasion de l'URSS en juin 1941 marque un tournant dans la politique antisémite du Reich. La lutte contre le Juif sous-homme se trouve renforcée : la lutte est menée contre l'ennemi de l'extérieur (le bolchevique) et l'ennemi de l'intérieur (le Juif). Le meurtre de masse planifié est donc décidé à la conférence de Wannsee près de Berlin le 20 janvier 1942 à laquelle participe Eichmann et Himmler. C'est le début des déportations massives et l'installation des centres de mise à mort. C’est ce qu’on appelle plus précisément la « Solution Finale ».

5, C’est pourquoi par la suite, Georges Bensoussan se pose la question de la résistance juive et de la réaction des Etats et des Eglises : qui savait quoi ? Quelles furent les tentatives de sauvetage ou comment plus simplement « sauver » ?

6. Enfin, Georges Bensoussan termine sur ce qu ‘il nomme « l’heure des bilans ». Il rappelle la découverte du génocide, dresse un bilan chiffré de l'extermination des Juifs. Il évoque aussi les procès des nazis, dont le procès de Nuremberg (novembre 1945-octobre 1946) et lance quelques pistes de réflexion sur le sens des faits.

Intérêt du livre

C'est ouvrage de vulgarisation écrit par un grand historien à la portée de tous. Il montre, en quelques pages, comment et pourquoi près de six millions de Juifs européens dont un million d'enfants ont été assassinés par les nazis parce qu'ils étaient considérés comme une masse nuisible, entachée de tares « génétiques ». Il montre qu'en réalité c'étaient des hommes, des femmes et des enfants de tous milieux sociaux, fortunés ou modestes, présentant une image diversifiée, entre attachement à la tradition et désir de modernité, entre pratique religieuse et laïcisation, entre repli sur soi et acculturation. Cela met à mal le mythe nazi fondé sur l’incapacité des Juifs à s’intégrer.

Ainsi, loin d’être antinomique, la démarche des témoins et des historiens est complémentaire et également nécessaire.

Auschwitz, Léon POLIAKOV, 1964



Originalité de la démarche de l’historien

Paru en 1964, un an avant le procès de Jérusalem, cet ouvrage est considéré comme une œuvre historique originale et novatrice puisque Léon Poliakov conjugue histoire et mémoire. L’auteur, membre de la délégation française qui a participé au procès, est le premier auteur à avoir créé une œuvre historique sous forme de recueil de documents d’archives. De plus, il y distingue parfaitement les deux aspects du camp : lieu de mort et l lieu de vie, ce qui pour l’époque est une nouveauté. Effectivement, la majorité des Juifs étaient mis à mort dès leur arrivée. Les autres détenus allaient travailler dans les usines et les firmes allemandes comme par exemple Krupp, installés sur le territoire du camp. Poliakov s’appuie des documents d’archive concernant chaque aspect du camp

Auschwitz est un lieu de mort

• Pour les « sous-hommes »

A la page 21, on trouve un discours de Himmler, chef suprême des SS, décrivant « l’idéal de vertu de leur confrérie » et méprisant les races inférieures : « que cent femmes russes tombent d’épuisement en creusant un fossé anti-char, cela m’est totalement indifférent. »
Aux pages 30 et 31, l’auteur explique l’organisation des déportations.
Il évoque aussi la mentalité des SS qui ont « soif de mal », c'est-à-dire qui jouissent des souffrances infligées à autrui. Il donne quelques exemples de punitions. Il existe des punitions dites « classiques » comme donner des coups de bâton sur les reins des détenus, leur faire faire de la gymnastique au beau milieu de la nuit ( se mettre à plat ventre et se relever pendant des heures). Adolf Rey, caporal SS aimait « beaucoup son travail » et se consacrait à son métier de bourreau avec passion et enthousiasme. Cette perversité sadique semait la terreur dans le territoire du camp.

• Dans les chambres à gaz

Cependant, le plus poignant reste sa description de l’avant gazage constitué de quelques témoignages poignants de Juifs sachant ce qui était sur le point de leur arriver : « vous n’avez donc pas de cœur » ; « l’Allemagne le paiera cher » ou encore une jeune femme juive s’adressant aux SS « J’espère que cela ira vite. Adieu. ». D’autres n’admettent pas et refusent catégoriquement de croire en l’existence d’une solution finale : « Frères juifs ! Ne croyez pas qu’on nous conduit à la mort. Il est inconcevable que des milliers d’innocents soient promus brusquement à une mort terrible, cela est impossible ! (…) »

C’est le SS Fritsch qui eut l’idée de l’extermination par « le cyclone B » qui se présentait sous forme de cristaux d’acide prussique. La première expérience en 1941 sur des prisonniers russes étant satisfaisante, la méthode a été retenue. Les firmes allemandes Testa et Degesch produisirent donc le gaz en énorme quantité : « 7 tonnes en 1942 puis 12 tonnes en 1943 » (page 54).

• Et les crématoires

Le problème technique qui se posait aux nazis était double : enterrer ou brûler les corps ? Comment faire disparaître les corps au fur et à mesure du gazage. En 1942, les quatre grands fours furent construits, toujours avec la complicité et l’aide des firmes allemandes (Topf et fils).
Léon Poliakov décrit les crématoires à la page 63 : « Les crématoires II et III avaient ensemble trente creusets et pouvaient ensemble incinérer 350 cadavres par heure ». Il ajoute même : « Ils pouvaient engloutir au total 5000 cadavres en 24 heures ». Paradoxalement, on apprend, grâce à une lettre du commandant d’Auschwitz Hoess à la page 65, que 1300 plantes destinées à entretenir les fours ont été fournies.

Auschwitz est aussi un lieu de « survie »

• Une ville avec toutes ses infrastructures

Le camp a, en effet tout d’une ville : rues, baraquements, orchestre, restaurant, bordel, médecins, hôpital. Là sont donc parqués et surveillés les détenus qui ont échappé à la sélection à l’arrivée ou à celle qui sont opérée régulièrement quand il faut faire de la place dans le camp. Ces esclaves sont employés dans les usines environnantes.
Pendant la guerre, Auschwitz était un haut lieu de l’eugénisme. A la page 145, on apprend que le Docteur Joseph Mengele, médecin chef surnommé l’ « ange de la mort », faisait des expériences sur les personnes malformées telles que les nains ou encore les bossus. Mais les cobayes qui intéressaient le plus les médecins étaient les jumeaux qui, selon eux, permettaient de résoudre le secret de la multiplicité raciale. Le projet était donc que, dans l’avenir, chaque mère allemande accouche autant que possible de jumeaux dans le but de multiplier la race aryenne et, parallèlement, de stériliser en masse les races inférieures avec des rayons X.

• Un lieu où l’on tente de survivre et de résister

La résistance et la solidarité faisaient également partie du quotidien des détenus. L’opposition hitlérienne ne s’est développée dans les camps nazis que parmi les détenus très combatifs (surtout les communistes allemands placés à des postes de responsabilité et en conséquence mieux nourris. L’organisation se faisait par petits groupes d’entre aide afin d’assurer la survie du mieux possible (fraude de médicaments, partage de la nourriture…) C’est ainsi que la révolte du Sonder Kommando a eu lieu. Des détenus ont effectivement réussi à incendier et à faire sauter un des fours crématoires. Un kapo allemand a été jeté vivant dans les flammes et quatre SS ont été tués ce jour-là. Les détenus ont ensuite fait sauter les clôtures et se sont évadés par centaines. Ce soulèvement constitue un évènement exceptionnel et symbolique puisque les SS, coupables, furent tués à l’endroit même où des millions d’innocents ont péri.

• Un vaste entrepôt de tous les biens juifs

Le lieu de « vie » est également caractérisé par une industrie de collecte des biens des déportés stockés à « Kanada », trente baraques. Pour Kitty Hart, survivante déportée, « notre travail consistait à trier les biens des gens qui avaient été gazés et incinérés » (page 67). Chaque baraque regroupait des biens différents (vêtements, cheveux, paires de lunettes, valises, etc.). Des camions partaient tous les jours pour livrer en Allemagne ces biens volés. Les pages 76 et 77 du chapitre « l’industrie de la mort » met en évidence la comptabilité des objets récupérés par les nazis. Ainsi, le butin des nazis expédié en Allemagne au mois d’ avril 1933 se composait de :

- 130 000 lames de rasoir
- 94 000 pièces de montres d’hommes
- 33 000 pièces de montres de femmes
- 39 000 stylos
- 3 500 portefeuilles
- 14 000 ciseaux de toutes sortes

En conclusion, on peut donc dire que Léon Poliakov a bien clairement distingué les deux aspects du camp : d’un côté le camp d’extermination, le lieu de la mort rapide et le camp de concentration où on y trouve le lieu de « vie », de « travail », de « recherche » médicale, c’est- à dire le camp de mort lente, comme l’a bien révélé, quelques mois plus tôt le procès de Jérusalem.

Les Assassins de la Mémoire, Pierre Vidal-Naquet, 1987



A propos du négationnisme …


« Personne ne saurait nier les horreurs des camps mais tout le monde conviendra qu’il n’était pas nécessaire de les exagérer comme cela a été fait. Je corrige les exagérations. Ce n’est pas là minimiser les crimes du nazisme »
Paul Rassinier, Le Mensonge d’Ulysse, 1950

« Jamais Hitler n’a donné l’ordre de tuer ne serait-ce qu’un seul homme en raison de sa race ou de sa religion. […] Je conteste qu’il y ait eu une politique d’extermination physique des Juifs. ».
Robert Faurisson, 1977

[Les chambres à gaz] … C’est un point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale »
Jean-Marie Le Pen, Grand Jury RTL-Le Monde, 13 / 09 / 1987

Comment décrypter les mensonges des négationnistes

P. Vidal-Naquet écrit : « Face à un Eichmann réel, il fallait lutter par la force des armes et, au besoin, par les armes de la ruse. Face à un Eichmann de papier, il faut répondre par du papier. Nous sommes quelques-uns à l'avoir fait et nous le ferons encore. Ce faisant, nous ne nous plaçons pas sur le terrain où se situe notre ennemi. Nous ne le " discutons pas ", nous démontons les mécanismes de ses mensonges et de ses faux, ce qui peut-être méthodologiquement utile aux jeunes générations. » Ces lignes, qu'écrivait en 1981 l'historien Pierre Vidal-Naquet, gardent toute leur actualité.

L’ouvrage fait l’analyse des mécanismes des mensonges du négationnisme

Le credo négationniste :

1. Il n’y a pas eu de génocide et l’instrument qui le symbolise, la chambre à gaz, n’a jamais existé

2. La « solution finale » n’a été que l’expulsion des Juifs en direction de l’Est européen = le refoulement

3. Le chiffre des victimes juives du nazisme est beaucoup plus faible qu’on ne l’a dit : environ 200 000, environ 50 000 à Auschwitz, Juifs et non Juifs

4. L’Allemagne ne porte pas la responsabilité majeure de la seconde guerre mondiale

5. L’ennemi majeur du genre humain des années 30 - 40 est l’URSS de Staline

6. Le génocide est une invention de la propagande alliée, juive, sioniste

Pourtant :

Le premier gazage au Zyklon B à Auschwitz est réalisé le 3 / 09 / 1941 sur des prisonniers de guerre soviétiques.

Le processus d’extermination est établi depuis avril 1944 après des évasions de déportés.
Les Nazis ont toujours agi dans le secret. Leur langage est codé : on ne dit pas « extermination » mais « sélection », on ne dit pas « gazage » mais « actions spéciales ».

Mais il en reste des traces, ainsi que l’atteste le Journal du médecin SS Kremer qui exerça à Auschwitz du 30 août au 18 novembre 1942


Les méthodes négationnistes : le mensonge, le faux, l’appel à une documentation fantaisiste

1. Tout témoignage direct apporté par un Juif est un mensonge ou une fabulation

2. Tout témoignage, tout document antérieur à la libération des camps est un faux ou ignoré ou traité de rumeur

3. Tout témoignage nazi postérieur à la fin de la guerre est considéré comme obtenu sous la torture ou l’intimidation

4. Mobilisation d’un arsenal pseudo- technique pour démontrer l’impossibilité matérielle du gazage massif

Shoah, Claude Lanzmann, 1985


Shoah est un mot hébreu qui signifie « anéantissement » et désigne l’extermination de plus de six millions de Juifs par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. La mise à mort du peuple juif se singularise par son caractère industriel, bureaucratique et systématique, ce qui la rend encore aujourd'hui sans équivalent dans l'histoire de l'humanité.
Shoah, c’est également le titre d’un film de Claude Lanzmann sorti en 1985 et considéré comme une œuvre majeure. Cette production cinématographique de 570 minutes en version longue est réalisée à partir de témoignages de survivants collectés pendant une dizaine d’années. Le film se déroule donc de nos jours à Chelmno-sur-Ner.

Sur les traces de Simon Srebnik, un rescapé de la mort

Nous sommes de nos jours, en Pologne, sur le lieu qui fut le premier site d’extermination des Juifs par le gaz. Ici, quatre cent mille Juifs sont morts assassinés. On compte deux rescapés : Mordechai Podchlebnik et Simon Srebnik. Simon Srebnik, enfant de treize ans et demi, devait être exécuté par les nazis, deux jours avant l’arrivée des troupes soviétiques. Il échappa à la mort, fut recueilli par un paysan polonais et sauvé par un médecin-major de l’Armée rouge. Plus de trente ans après, Claude Lanzmann l’a convaincu de revenir à Chelmno.

Un film fait à partir de rien sur les lieux

Shoah s’ouvre sur un plan général où nous voyons une barque avec un homme assis, silencieux, à l’avant. À l’autre extrémité, un homme debout, pagaie doucement. La caméra, sur la rive, suit le déplacement de l’embarcation de la gauche vers la droite. Les rives étant bordées d’arbres, l’image, sombre au départ, s’éclaircit dès que le ciel entre dans le champ de la caméra. Des troncs, par moments, gênent la vue. On entend les aboiements d’un chien et une voix s’élève qui chante : les paroles sont traduites et sous-titrées. La lecture du texte précédent nous fait comprendre que nous sommes en présence de Simon Srebnik, l’enfant chanteur, remontant à nouveau la Ner sur une petite barque. À la fin du plan, des paysans polonais, en voix off, traduits par une voix féminine en français, se souviennent d’avoir entendu cette complainte. Ce premier plan pose, dès le début du film, quelques éléments fondamentaux de l’ensemble de l’œuvre : les lieux (revenir sur le lieu même où s’est passée l’action), les voix (traduites ou sous-titrées), les personnages (le Juif, seul, immobile, qui ne voit pas où il va et les Polonais qui parlent, qui agissent ; chacun ayant sa manière propre de se souvenir), le panoramique (mouvement de caméra descriptif qui donne à voir, qui représente). Dès les premières images, il est indéniable que nous sommes face à une œuvre où la volonté de mise en scène s’affiche fortement.
Nous retrouvons Simon Srebnik, sur la barque. Il a quarante-sept ans mais en fait plus. Il est en train de chanter les paroles entendues dans le plan précédent. À nouveau, les voix des Polonais se font entendre et expriment leur émotion à réécouter l’enfant chanteur. Nouvelle mise en place de constituants forts du film : les visages (celui de Simon Srebnik, exceptionnel survivant, acquiert ici une valeur toute symbolique de tous les visages à venir), le travelling (mouvement de caméra qui accompagne, qui suit, qui conduit à revivre l’action), la répétition du même (revenir sur le lieu, rechanter les paroles, réentendre l’enfant, refaire les mêmes gestes...).
Simon Srebnik, marche, silencieux, dans un chemin forestier. Il regarde, cherche des yeux, s’arrête, hoche la tête et parle : c’est difficile à reconnaître, mais c’est le lieu. À la volonté de revenir sur les lieux s’oppose l’absence de trace. Tout a disparu, la nature a repris possession de son territoire. Il ne reste plus à Simon Srebnik qu’à refaire, redire, revivre, ici et maintenant. Cette absence et tout à la fois la permanence des lieux vont s’imposer tout au long des trajets, des voyages, des retours qu’accomplit, lui aussi, Claude Lanzmann.
Nous découvrons donc le lieu : une vaste clairière totalement nue, vide d’où surgissent seulement des petits murets délimitant les fondations des bâtiments. L’herbe a tout envahi et il est très difficile de distinguer les traces. Srebnik réaffirme que personne n’en repartait jamais.

Un film qui dit beaucoup

Simon Srebnik décrit, face à ce vide, l’arrivée des camions, les immenses fours et les flammes qui montaient jusqu’au ciel. Il accompagne d’un regard et d’un geste la montée des flammes. Il les (re)voit. Mais son regard est aussi sans expression, sans repères car Shoah est un film réalisé à partir de rien de ce que Claude Lanzmann appelle une défiguration des lieux. Srebnik arpente le lieu et parle et Claude Lanzmann apparaît furtivement. Ce sixième plan s’achève sur un gros plan des visages de Srebnik et Lanzmann
Nous retrouvons Simon Srebnik dans un plan général de la clairière, s’éloignant en marchant sur le muret d’un des bâtiments et exprimant son impossibilité à se représenter en ce lieu. L’endroit est calme, paisible, comme il l’était quand les flammes montaient dans le ciel.
L’idée de travail à faire, à bien faire, à faire sans réfléchir, sans se révolter, va resurgir tout au long du film. Lorsque Srebnik, sur sa barque, remonte la Ner, nous apercevons sur la berge, à proximité, l’église du village, des champs cultivés : il est clair que les Polonais vivaient/vivent à quelques pas du lieu de l’extermination. Claude Lanzmann, par une démarche qu’il conserve tout au long du film, ne se contente pas de faire renaître les souvenirs dans les propos de Polonais qui sont au passé. Il veut savoir et leur faire dire ce qui se passe aujourd’hui dans leurs cœurs.

Un film qui joue sur le sentiment d’identification

Shoah repose en grande partie sur la notion d’identification, car il est essentiel au projet du film que le spectateur devienne celui qui va mourir.
Pour Claude Lanzmann, il s’agit de donner à voir, puis de donner à comprendre, pour enfin donner à être. Ainsi, dans la scène de la locomotive avec Henrik Gawkowski, la caméra est placée de telle façon que le spectateur découvre le panneau de Treblinka avec les yeux des Juifs à l’issue de leur voyage.

Tout au long de Shoah, un visage en gros plan occupe souvent aussi le cadre : pendant qu’il y a des temps de parole, que le temps s’écoule, l’image est émotion. Avec les images de convois, de trains et de camions, de voies ferrées et de routes, des rampes, de camps menant à la mort, nous refaisons les trajets, mais nous revivons aussi la durée interminable du voyage. De plus, Claude Lanzmann a dans son film interviewé les deux camps : celui des victimes et celui des coupables. Il est allé à la rencontre d’un ancien SS. Pendant l’interview, Franz Suchomel s’assure que son nom ne sera pas divulgué. Cependant celui-ci venait d’être annoncé en bas de notre écran. Mais à aucun moment Claude Lanzmann ne porte un jugement direct, que ce soit avec cet ancien SS ou avec les victimes ou encore avec les civils polonais. Il fait témoigner.

Shoah, c’est l’histoire d’un peuple, mais c’est aussi notre histoire à tous.

Nuit et brouillard, Alain Resnais, 1955


Sorti en 1955, Nuit et Brouillard est un film d’Alain Resnais sur un texte écrit par Jean Cayrol et dit par Michel Bouquet. Depuis sa sortie, ce film demeure LE documentaire de référence sur les camps.

Nous allons donc voir dans un premier temps en quoi ce film de 32 minutes permet de comprendre les faits. Ensuite, dans un deuxième moment nous verrons quelle place celui-ci tient dans la construction de la mémoire de la Shoah en France. Enfin, nous verrons alors le rapport qu’il existe entre l’histoire et la mémoire.

Des images pour dénoncer le système concentrationnaire

On peut distinguer différents types d’images utilisées par Alain Resnais. En effet, il a des images tournées en 1955, en couleurs, à Auschwitz ainsi que celles tirées des archives nazies dont beaucoup de photos fixes et des photos des armées alliées au moment de l’ouverture puis du nettoyage des camps en 1945. Alain Resnais a eu notamment accès à certaines séquences tournées par Sidney Bernstein, chef de la section cinéma des armées alliées à l’ouverture du camp de Bergen-Belsen dans le but de faire le procès des Allemands. Le projet du film avait été abandonné en 1946. De plus, nous pouvons aussi dire que ce croisement entre les images en couleurs tournées en 1955 et les images d’archives en noir et blanc ainsi que leur constante mise en perspective par le commentaire sobre et informatif dit par Michel Bouquet et le lent crescendo dans l’horreur des images confèrent au film une force confondante.

En résumé, dans ce film, en trente minutes, l’essentiel est dit : l’horreur du meurtre de masse, la survie et la mort, le temps qui passe et l’enjeu de la mémoire.

Un film qui a été victime de la censure à sa sortie parce qu’il dérangeait

Dans un premier temps, il est important de souligner le fait que, après 1947, et notamment à cause de la guerre froide qui visait à un renversement de l’alliance antifasciste, une indulgence coupable, ou plus exactement une occultation du régime de Vichy au profit d’une « réconciliation » avec l’Allemagne provoqua en partie la censure dont le film fut l’objet en 1956. C’est d’ailleurs pour cela que, sur demande des autorités ouest-allemandes, le film fut censuré par le gouvernement. Il ne fut autorisé par la suite que quand le képi d’un gendarme français gardant un camp de Vichy fut retiré, et fut projeté au festival de Cannes la même année « hors compétition », pour ne pas risquer de remporter un prix ! En désignant ainsi les responsabilités de la Collaboration, il s’inscrivait en faux contre la politique officielle française. Nous pouvons aussi rappeler que la Suisse interdit totalement le film Nuit et Brouillard soit disant au nom de… la neutralité !
De plus, nous pouvons aussi noter le fait que la volonté d’amnésie, dix ans après la fin de la guerre, est révélatrice du désir de refouler certaines taches de la police française sous l’Occupation, afin de ne pas troubler l’imagerie d’une France uniment résistante. Or l’incroyable est vrai : les copies en circulation de Nuit et Brouillard perpétuent ce mensonge par omission.

Une confusion évidente entre camps de concentration et camps d’extermination en 1955

En ce qui concerne le contenu de ce film, celui ci résume le dilemme fondamental face au phénomène concentrationnaire et à l’extermination des Juifs d’Europe par les nazis.

Réalisé dix ans après la fin de la guerre, Nuit et Brouillard reste tributaire de la perception que l’on pouvait avoir du phénomène dans les années 1950. À cette époque, le souvenir de la déportation est véhiculé en premier lieu par les déportés politiques et leurs associations. Les rescapés juifs non seulement sont peu nombreux – pour la France, deux mille cinq cents survivants sur soixante-seize mille déportés juifs –, mais ils ne font pas entendre leur voix, comme si le silence avait été alors leur moyen de continuer à vivre après le traumatisme.
De fait, Nuit et Brouillard est d’abord un film sur le phénomène concentrationnaire tel que les déportés des camps de Dachau et de Buchenwald ont pu en rapporter l’expérience. L’auteur du commentaire, Jean Cayrol, en était lui-même un rescapé. Le film montre bien les chambres à gaz d’Auschwitz mais gomme la spécificité du génocide juif. L’œuvre d’Alain Resnais se situe dans cette première période de la mémoire de la déportation, où le choc de l’ouverture des camps est proche mais où l’on distingue encore mal l’ampleur et la diversité du phénomène.

Il est alors très important de parler du fait que dans Nuit et Brouillard, aucune distinction entre les déportés n’est faite ! En effet, ce film montre un « univers concentrationnaire » (pour reprendre la formule de David Rousset) qui englobe l’ensemble des déportés. Le film, qui privilégie Auschwitz dans ses reportages en montrant le célèbre portail de Auschwitz I, les monceaux de cheveux, de vêtements d’enfants, etc., et les complexes industriels des chambres à gaz aux crématoires pouvant contenir plusieurs milliers de personnes, n’établit à aucun moment cette distinction qui s’est imposée progressivement aux historiens contemporains. Les rescapés de la « Solution finale » n’étaient guère visibles en raison de leur petit nombre. Rien d’étonnant par conséquent à ce que le génocide des prétendues « races inférieures » ait été sous-estimé en 1945 dans sa spécificité et qu’il ait fallu attendre les années soixante et la prise de conscience qui s’opéra à la suite du procès Eichmann pour que la question fût posée de façon de plus en plus claire, chiffres à l’appui. Souvenons-nous d’ailleurs qu’à l’époque, ni Shoah, ni génocide, ni holocauste n’étaient usités, ce qui confirme amplement cette absence dans la conscience collective, y compris celle de la plupart des déportés juifs. Eux-mêmes s’étaient insurgés contre l’appellation de « déportés raciaux » et on les englobait dorénavant dans la catégorie des « déportés politiques ».

Nous venons d’évoquer précédemment le fait que ce film ne prend pas réellement en compte la distinction entre les déportés. Cela concerne donc notamment la question juive. En effet, bien que ce film contienne un message bouleversant et inoubliable qui permet la mémoire de ce malheureux fait historique, nous pouvons tout de même dire que celui-ci n’a pas joué directement un rôle dans la construction de la mémoire de la Shoah. Cependant, nous pouvons tout de même noter le fait que depuis sa sortie, le film a connu deux affiches différentes :

La nouvelle affiche du film DVD : une prise en compte de la spécificité de la Shoah aujourd’hui


L’affiche de 1956 est en noir et blanc et montre une image de déportés squelettiques, nus et rasés révélant toute l’horreur des camps. On peut voir également un tas de cheveux. Cette affiche suggère l’horreur à travers la maigreur qui reflète des conditions de vie épouvantables.
L’affiche de 2003, qui sert également de couverture pour l’édition DVD, est en couleur et représente la photo d’un enfant du ghetto de Varsovie qui s’apprête à être déporté. Cette photo montre toute l’atrocité de l’extermination des Juifs y compris les enfants. De plus sur cette affiche on voit également un homme qui se suicide en se jetant sur les barbelés électrifiés et un triangle avec une chouette.

Ce film est un bon outil pour construire la mémoire de la Shoah mais cependant, ce film a des limites. Il ne fait pas la distinction entre camp de concentration et d’extermination et on ne dit pas qui sont les déportés.
L’analyse de ces deux affiches permet donc de constater qu’aujourd’hui la mémoire de la Shoah s’est enrichie car on voit qu’en 2003, grâce à la photo du petit garçon du ghetto de Varsovie il devient plus clair qu’en 1956 que les personnes exterminées ont été d’abord des Juifs. Les deux affiches prouvent que la mémoire se construit de mieux en mieux car entre 1956 et 2003, on a montré qu’il y avait des distinctions à faire entre les morts : par exemple que sur 6 millions de Juifs tués, 1million était des enfants.

Rapport entre histoire et mémoire

Enfin nous allons donc maintenant voir le rapport entre l’histoire et la mémoire.
Comme nous l’avons vu précédemment, Nuit et Brouillard a donc eu pour objectif majeur de participer à la construction du savoir ainsi qu’à la connaissance de la vérité. De plus, en élaborant un tel film, Alain Resnais avait aussi pour but de permettre la conservation de la mémoire et d’immortaliser ce qui s’est réellement passé. Ainsi, nous pouvons donc supposer que la finalité d’un tel film était de résonner les consciences en leurs montrant toute l’horreur des camps et du nazisme afin d’éviter que cela recommence à nouveau. De plus, en mélangeant différentes sorte d’images cela permet de se compléter et ainsi d’être plus précis, plus réalistes (avec notamment les images d’archives) et aussi plus concret.