lundi 17 septembre 2007

Anita était violoncelliste à Auschwitz, Ouest-France

Ouest-France Magazine

Paru dans l'édition du lundi 17 septembre 2007

Anita était violoncelliste à Auschwitz

Ouest-France
Aujourd'hui, Anita Lasker-Wallfisch est une vieille femme digne qui n'oublie pas, qu'avant-guerre, elle était une adolescente insouciante, apprentie violoncelliste. À 18 ans, elle a connu l'horreur de la déportation. Elle a dû jouer dans l'orchestre d'Auschwitz. : Ouest-France

Anita Lasker-Wallfisch a 18 ans quand elle est jetée dans le camp nazi. Elle survivra. Parce qu'elle est musicienne et qu'elle a intégré l'orchestre de femmes qui accompagnait la mort et les travaux forcés. Aujourd'hui, elle témoigne. Sans haine.

« Je venais d'arriver à Auschwitz. J'avais 18 ans, j'étais nue, on m'avait rasé la tête, tatoué le numéro 69 388 sur le bras gauche... Mes parents et ma soeur étaient aussi déportés, et je discutais violoncelle avec une femme... » Cette femme qui l'accueille dans le camp avec cette étonnante conversation musicale s'appelle Alma Rosé, la nièce de Gustav Mahler. Ce dialogue surréaliste va sauver la vie d'Anita Lasker-Wallfisch, jeune juive allemande de Breslau. Alors que la machine à tuer tourne à plein régime dans les camps de la mort, les Allemands, comble du cynisme, y ont monté des orchestres. Dont un composé uniquement de femmes à Auschwitz. Chaque matin et chaque soir, il joue des marches pour scander le départ et le retour des travailleuses. C'est Alma Rosé qui le dirige et elle prend son rôle de chef d'orchestre très au sérieux.

« Elle était tellement contente de trouver une violoncelliste. Elle n'avait que des instruments aigus. Elle voulait savoir où j'avais étudié le violoncelle, avec qui, pendant combien de temps... » Anita passe même une audition! « Je venais de passer plus d'un an en prison, sans toucher un violoncelle. J'ai demandé à pouvoir reprendre le contact avec l'instrument. Et j'ai joué le deuxième mouvement du concerto de Boccherini », raconte la vieille dame digne, aujourd'hui âgée de 82 ans.

Dans cet univers de mort, Alma Rosé dirige ses musiciennes d'une main de fer. « J'ai dû laver le sol du bloc à genoux pour des fausses notes. Dans ces moments-là, je ne peux pas dire que j'aimais Alma, confesse Anita Lasker-Wallfisch. Mais je garde aujourd'hui une extrême admiration pour son attitude. Nous étions des jeunes femmes et on ne jouait pas très bien. En nous imposant une discipline très stricte, en nous faisant travailler note par note, elle a réussi à détourner notre attention de ce qui se passait autour de nous. On se concentrait sur un fa qui aurait dû être un fa dièse. »

Anita sait que certaines prisonnières « détestaient les musiciennes. » Parce que leur statut leur offrait des conditions d'internement un peu moins atroces. Mais d'autres y puisaient une source de réconfort. Aussi bref soit-il. « Entendre la musique permettait d'oublier l'horreur quelques secondes, de se souvenir de la vie normale », lui diront des déportées. Car, « à Auschwitz - Birkenau, rien n'était normal, » lâche Anita Lasker-Wallfisch, sur un ton détaché, comme pour se protéger de l'émotion qui menace de la submerger. Quand elle évoque l'arrestation de ses parents ou bien l'horreur crasse de son passage en quarantaine, avant de pouvoir rejoindre le bloc des musiciennes. Un privilège. Celui « d'avoir une chance de survivre. Quand les SS avaient besoin de vous, ils ne vous envoyaient pas dans la chambre à gaz ».

Samedi soir à Saint-Nazaire, en préambule au festival de musique de chambre Consonances, Anita Lasker-Wallfisch a raconté cette histoire pour la première fois en France. Longtemps, elle l'a gardée pour elle. Jusqu'à ce que ses enfants l'interrogent, il y a une dizaine d'années. « Ils savaient qu'il s'était passé quelque chose d'anormal dans notre famille, remarque Anita Lasker-Wallfisch. Ils n'avaient pas de grands-parents. »

Elle était incapable de dire l'indicible. Alors, elle l'a écrit. « Pour mes enfants, mais sans penser à éditer un livre. » Une journaliste de la BBC l'a invitée à lire son manuscrit à l'antenne et la violoncelliste d'Auschwitz a bouleversé l'Angleterre et alerté les éditeurs. Son livre - La vérité en héritage - a été traduit en de nombreuses langues. Elle enchaîne depuis les conférences, en Angleterre, où elle vit, et en Allemagne.« Je raconte mon passé parce qu'il est impossible de s'imaginer ce que ça veut dire 6 millions de morts. En revanche, on peut comprendre l'histoire d'une personne », estime Anita Lasker-Wallfisch.

Après Auschwitz, où Alma Rosé est morte, les musiciennes ont été transférées à Bergen-Belsen. « Qu'elle différence · À Auschwitz on était assassinées. Là, on crevait. Nous ne formions plus un orchestre. Mais nous étions toujours un groupe. Nous partagions le peu de nourriture que nous trouvions. » Jusqu'à la libération, le 15 avril 1945. Un autre parcours difficile a alors commencé: le retour à la normalité. Anita Lasker-Wallfisch est devenue une concertiste réputée et a fondé une famille.

Samedi, à Saint-Nazaire, son fils Raphaël a joué un extrait d'une suite pour violoncelle de Bach, en conclusion de la conférence de sa mère. Enfin, elle a pu laisser parler son émotion, touchée par la longue ovation debout du public.

Didier BLIN.

La vérité en héritage, d'Anita Lasker-Wallfisch, est parue chez Albin-Michel, en 1998. Le festival Consonances se poursuit jusqu'au 22 septembre, à Saint-Nazaire. Renseignements au 02 51 10 18 78 et sur www.consonancessaintnazaire.fr.

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