jeudi 31 mai 2007

Quelques éléments de réflexion sur les rapports entre l’histoire et la mémoire

I. Les victimes Au camp d’Auschwitz

Le nombre de victimes au camp d’Auschwitz, d’après le recensement de Franciszek Piper, historien du musée d'Auschwitz Birkenau
1,3 million de personnes ont été déportées
1,1 million de déportés y sont morts dont :
960 000 Juifs
70 000 à 75 000 Polonais
21 000 Tsiganes
15 000 prisonniers de guerre soviétiques
10 000 à 15 000 détenus d'autres nationalités (Soviétiques, Tchèques, Yougoslaves, Français, Allemands, Autrichiens, si l'on excepte les Juifs)


II. Place de ces documents dans la construction du savoir et la transmission de la mémoire de la Shoah

Rappel des faits

A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, neuf millions de Juifs vivaient en Europe, entre tradition et modernité, repli sur soi et acculturation, religiosité et laïcité ou athéisme. Pendant la Shoah, « la catastrophe » en hébreu, plus de six millions d’entre eux ont été assassinés au nom d’une utopie raciste. Marginalisation, exclusion, expulsion, déportation, enfermement dans les ghettos … autant d’étapes avant la « Solution Finale », « la liquidation de la race juive », mise au point froidement, consciencieusement par les nazis. Alors, par convois entiers, hommes, femmes, enfants ont été déportés vers « l’est », dans les camps d’extermination d' Auschwitz Birkenau, Maidanek, Chelmno, Belzec, Sobibor, ou encore Treblinka.

Dire, analyser pour ne pas oublier

Dire ce qui s’est passé, c’est d’abord témoigner. C’est ensuite « raconter » à travers la fiction cinématographique ou littéraire. C’est enfin analyser, décrypter, contextualiser, comme le fait l’historien.

Comprendre, débattre

Tous les historiens s’accordent sur la nature et l’ampleur des crimes nazis. En revanche, certaines questions font débat.
• sur la singularité ou non de la Shoah, par rapport à d'autres génocides du XX ème siècle.
• sur une certaine passivité des Juifs qui se seraient « laissés mener à la mort comme des moutons à l’abattoir ». L’isolement dans un monde indifférent sinon hostile, le manque d’armes, et sans doute, le rejet traditionnel de la violence doivent être pris en compte. Il y a eu incontestablement ce que l’on peut appeler « l’abandon des Juifs ». Mais il y a eu aussi des actes de résistance individuelle: survivre, c'est résister à l'oeuvre de destruction de toute humanité ; résistance collective aussi comme dans le ghetto de Varsovie en 1943.
• sur la complicité ou l'ignorance de ce qui s'est passé. « On savait », « On ne savait rien » : ces deux expressions sont également crédibles selon la date, l’endroit où se trouvait le témoin, les vecteurs d’information diffusée ou retenue, il faut garder à l’esprit la difficulté d’intégrer ce type de savoir et de réalité. Si s’en défendre par la dénégation a été le réflexe le plus courant, quel effort fallait-il s’imposer pour assimiler cette réalité-là ?

L’énormité du crime en a laissé plus d’un perplexe, hésitant et oscillant du doute au désarroi, du désarroi à la certitude enfin. Mais il y a fallu du temps. Les divers procès , celui de Klaus Barbie par exemple, ont permis aussi à la France d’avancer dans son devoir de mémoire et d’intégrer la notion de crime contre l’humanité dans son arsenal juridique.


Témoigner à notre tour

Les victimes ont pu dire, témoigner ce qu’ils ont vécu mais ils ont disparu ou vont disparaître.

C’ est pourquoi, il est nécessaire de transmettre cette mémoire aujourd'hui par d'autres vecteurs, d'autres acteurs. Et lutter ainsi contre l'oubli ou la négation de ces crimes. Et défendre la dignité de l'homme.


III. Rapports entre Histoire et Mémoire Quelques éléments de réflexions

Pour comprendre le rapport entre histoire et mémoire, nous devons avoir une idée claire sur le sens de ces termes.

Définitions :

L’histoire : c’est la connaissance du passé dans sa complexité. Elle repose sur une collecte et une critique des sources. Elle a une fonction sociale et civique. Elle repose sur une exigence de vérité et une pratique scientifique.

La mémoire :
c’est la représentation du passé qui prend deux sens : le souvenir au sens d’objet et l’action de se souvenir, c’est- à dire l’acte. La mémoire est sélective, complexe, plurielle. Ce n’est pas une démarche de connaissance du passé. Elle est identitaire d’un individu ou d’un groupe. La mémoire, c’est la capacité à se souvenir, à mémoriser des images du passé. A la différence de la simple imagination, la mémoire crée des images dans un référent à un existant passé. La mémoire dès lors devient une source de l’élaboration du récit historique.

L’histoire et la mémoire ont donc des points communs :

Un intérêt pour le passé ; une lecture du présent. Ainsi, la recherche historique s’est d’abord intéressée à l’étude des résistances, dans le contexte d’une vision de la France résistancialiste ; puis à Vichy ; puis à la spécificité de la Shoah. La mémoire juive est sortie du silence qu’on lui avait imposé dans les années 1960. Elle est une composante non seulement de l’identité juive, mais aussi de l’identité française aujourd’hui.
L’histoire et la mémoire combattent l’oubli, c'est-à-dire la perte durable ou définitive de ce que l’on a connu.

L’histoire et la mémoire révèlent de fortes rivalités.

En effet, la mémoire collective peut faire pression sur l’Histoire. La multiplication des mémoires subjectives fait alors apparence d’objectivité, mais elle masque souvent les enjeux politiques ou sociaux du temps présent, déformant l’histoire : la commémoration est en complète contradiction avec le travail de l’historien, en quête d’objectivité, de savoir, de connaissance. La mémoire érigée en mémorial n’a plus rien à voir avec l’Histoire Comme Kant le disait, l’Histoire ne doit pas « être la servante » de la mémoire.

Le témoignage ou la mémoire au service de l’histoire pour lutter contre l’oubli :

« La mémoire se transmet, l’histoire s’enseigne ». Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut savoir puis transmettre

Les différents ensembles mémoriaux sont tous convaincus de la nécessité de lutter contre l’oubli. Une revendication qualifiée de « devoir de mémoire ». Plus le groupe « porteur » de cette mémoire est structuré, plus sa reconnaissance sociale est grande et plus grande alors est sa reconnaissance officielle. Les porteurs de ces mémoires aujourd’hui sont en train de disparaître. Ils recherchent un maintien mémoriel via des associations- relais et se tournent vers le monde enseignant. C’est dans ce cadre que le Mémorial de la Shoah a organisé le voyage d’étude à Auschwitz.

« Personne ne peut imposer un devoir de mémoire aux jeunes générations. La parole de l’adulte qui sait, du professeur qui affirme, qui dit où est le Mal et où est le Bien, ne peut être suffisante pour déclencher la prise de conscience, par les élèves, de la particularité de la Shoah. C’est l’élève lui-même, à travers ses tâtonnements, qui doit se construire une mémoire, une conscience basées sur une connaissance rigoureuses des faits. »
Dominique Natanson, J’enseigne avec l’Internet, la Shoah et les crimes nazis.
Autrement dit, il y a d’abord l’obligation d’un « travail d’histoire » sur cette question. Ensuite, l’obligation d’un travail de mémoire, donc de témoignage : ici, témoignage sur ce qui a été entendu (paroles de déportés), et vu (visite du camp).

C’est ce que nous avons essayé de faire.


IV. Petit lexique à propos de la Shoah

Camps de concentration : ouverts dès mars 1933 en Allemagne, ils étaient à l’origine destinés à la « rééducation » des antinazis et des individus considérés comme asociaux. Avec la guerre, ils se sont multipliés pour recevoir les résistants et opposants de presque toute l’Europe.

Camps d’extermination : « centres de mise à mort » selon Raul Hilberg ou camps dans lesquels les Juifs et des Tziganes étaient assassinés. Au nombre de six, ils étaient situés en Pologne : Belzec, Chelmno, Sobibor, Treblinka, Auschwitz et Majdanek.

Camps d’internement : camps français créés sur l’ensemble du territoire dès 1938 afin d’y accueillir les républicains espagnols réfugiés, puis à partir de septembre 1939 les exilés allemands et autrichiens ayant fui le nazisme, mais considérés comme ressortissants d’un pays ennemi de la France. Ils ont servi ensuite de centre de regroupement pour les Juifs avant que ces derniers ne soient transférés vers le camp de Drancy d’où partaient les convois vers les camps de la mort.

Crime contre l’humanité : exécution d’un plan concerté (génocide, extermination, déportation, esclavage) inspiré par des motifs politiques, religieux, raciaux perpétré à l’encontre de tout ou partie d’un groupe de population civile. C’est un crime de droit international défini en 1945 par l’Organisation des Nations Unis.

Génocide : mot forgé en 1944 pour définir la destruction systématique d’un groupe humain que ce soit pour des raisons ethniques, religieuses ou politiques.

Ghetto : mot d’origine italienne désignant, à partir de la Renaissance, les quartiers juifs des ville d’Europe. Durant la Seconde Guerre mondiale, les Juifs d’Europe centrale ont été enfermés par les nazis dans des ghettos dont ils ne pouvaient pas sortir.

Kapo : détenu le plus souvent de droit commun, responsable d’un commando (« kommando ») de travail.

Kommando : détachement de détenus affectés à une tâche. Ce terme désignait aussi le lieu détention fixe ou provisoire dépendant d’un camp de concentration de même que les détenus qui le constituaient.

Négationnisme : doctrine niant la réalité du génocide des Juifs par les nazis et l’existence des chambres à gaz.

Solution finale : expression employée par les nazis pour désigner de manière codée l’extermination des Juifs.

Shoah : signifie catastrophe en hébreu et désigne l’extermination des Juifs en Europe par les nazis.

Totalitarisme : pratique d’encadrement de la société au sein de structures qui ont pour objet de « transformer l’homme » en le modelant sur l’objectif idéologique que s’assigne le régime, ici la prédominance de la race aryenne. : donner à la masse de la population une volonté collective, absorber l’homme sous tous ses aspects dans le tout idéologique racial.

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