jeudi 31 mai 2007

Nuit et brouillard, Alain Resnais, 1955


Sorti en 1955, Nuit et Brouillard est un film d’Alain Resnais sur un texte écrit par Jean Cayrol et dit par Michel Bouquet. Depuis sa sortie, ce film demeure LE documentaire de référence sur les camps.

Nous allons donc voir dans un premier temps en quoi ce film de 32 minutes permet de comprendre les faits. Ensuite, dans un deuxième moment nous verrons quelle place celui-ci tient dans la construction de la mémoire de la Shoah en France. Enfin, nous verrons alors le rapport qu’il existe entre l’histoire et la mémoire.

Des images pour dénoncer le système concentrationnaire

On peut distinguer différents types d’images utilisées par Alain Resnais. En effet, il a des images tournées en 1955, en couleurs, à Auschwitz ainsi que celles tirées des archives nazies dont beaucoup de photos fixes et des photos des armées alliées au moment de l’ouverture puis du nettoyage des camps en 1945. Alain Resnais a eu notamment accès à certaines séquences tournées par Sidney Bernstein, chef de la section cinéma des armées alliées à l’ouverture du camp de Bergen-Belsen dans le but de faire le procès des Allemands. Le projet du film avait été abandonné en 1946. De plus, nous pouvons aussi dire que ce croisement entre les images en couleurs tournées en 1955 et les images d’archives en noir et blanc ainsi que leur constante mise en perspective par le commentaire sobre et informatif dit par Michel Bouquet et le lent crescendo dans l’horreur des images confèrent au film une force confondante.

En résumé, dans ce film, en trente minutes, l’essentiel est dit : l’horreur du meurtre de masse, la survie et la mort, le temps qui passe et l’enjeu de la mémoire.

Un film qui a été victime de la censure à sa sortie parce qu’il dérangeait

Dans un premier temps, il est important de souligner le fait que, après 1947, et notamment à cause de la guerre froide qui visait à un renversement de l’alliance antifasciste, une indulgence coupable, ou plus exactement une occultation du régime de Vichy au profit d’une « réconciliation » avec l’Allemagne provoqua en partie la censure dont le film fut l’objet en 1956. C’est d’ailleurs pour cela que, sur demande des autorités ouest-allemandes, le film fut censuré par le gouvernement. Il ne fut autorisé par la suite que quand le képi d’un gendarme français gardant un camp de Vichy fut retiré, et fut projeté au festival de Cannes la même année « hors compétition », pour ne pas risquer de remporter un prix ! En désignant ainsi les responsabilités de la Collaboration, il s’inscrivait en faux contre la politique officielle française. Nous pouvons aussi rappeler que la Suisse interdit totalement le film Nuit et Brouillard soit disant au nom de… la neutralité !
De plus, nous pouvons aussi noter le fait que la volonté d’amnésie, dix ans après la fin de la guerre, est révélatrice du désir de refouler certaines taches de la police française sous l’Occupation, afin de ne pas troubler l’imagerie d’une France uniment résistante. Or l’incroyable est vrai : les copies en circulation de Nuit et Brouillard perpétuent ce mensonge par omission.

Une confusion évidente entre camps de concentration et camps d’extermination en 1955

En ce qui concerne le contenu de ce film, celui ci résume le dilemme fondamental face au phénomène concentrationnaire et à l’extermination des Juifs d’Europe par les nazis.

Réalisé dix ans après la fin de la guerre, Nuit et Brouillard reste tributaire de la perception que l’on pouvait avoir du phénomène dans les années 1950. À cette époque, le souvenir de la déportation est véhiculé en premier lieu par les déportés politiques et leurs associations. Les rescapés juifs non seulement sont peu nombreux – pour la France, deux mille cinq cents survivants sur soixante-seize mille déportés juifs –, mais ils ne font pas entendre leur voix, comme si le silence avait été alors leur moyen de continuer à vivre après le traumatisme.
De fait, Nuit et Brouillard est d’abord un film sur le phénomène concentrationnaire tel que les déportés des camps de Dachau et de Buchenwald ont pu en rapporter l’expérience. L’auteur du commentaire, Jean Cayrol, en était lui-même un rescapé. Le film montre bien les chambres à gaz d’Auschwitz mais gomme la spécificité du génocide juif. L’œuvre d’Alain Resnais se situe dans cette première période de la mémoire de la déportation, où le choc de l’ouverture des camps est proche mais où l’on distingue encore mal l’ampleur et la diversité du phénomène.

Il est alors très important de parler du fait que dans Nuit et Brouillard, aucune distinction entre les déportés n’est faite ! En effet, ce film montre un « univers concentrationnaire » (pour reprendre la formule de David Rousset) qui englobe l’ensemble des déportés. Le film, qui privilégie Auschwitz dans ses reportages en montrant le célèbre portail de Auschwitz I, les monceaux de cheveux, de vêtements d’enfants, etc., et les complexes industriels des chambres à gaz aux crématoires pouvant contenir plusieurs milliers de personnes, n’établit à aucun moment cette distinction qui s’est imposée progressivement aux historiens contemporains. Les rescapés de la « Solution finale » n’étaient guère visibles en raison de leur petit nombre. Rien d’étonnant par conséquent à ce que le génocide des prétendues « races inférieures » ait été sous-estimé en 1945 dans sa spécificité et qu’il ait fallu attendre les années soixante et la prise de conscience qui s’opéra à la suite du procès Eichmann pour que la question fût posée de façon de plus en plus claire, chiffres à l’appui. Souvenons-nous d’ailleurs qu’à l’époque, ni Shoah, ni génocide, ni holocauste n’étaient usités, ce qui confirme amplement cette absence dans la conscience collective, y compris celle de la plupart des déportés juifs. Eux-mêmes s’étaient insurgés contre l’appellation de « déportés raciaux » et on les englobait dorénavant dans la catégorie des « déportés politiques ».

Nous venons d’évoquer précédemment le fait que ce film ne prend pas réellement en compte la distinction entre les déportés. Cela concerne donc notamment la question juive. En effet, bien que ce film contienne un message bouleversant et inoubliable qui permet la mémoire de ce malheureux fait historique, nous pouvons tout de même dire que celui-ci n’a pas joué directement un rôle dans la construction de la mémoire de la Shoah. Cependant, nous pouvons tout de même noter le fait que depuis sa sortie, le film a connu deux affiches différentes :

La nouvelle affiche du film DVD : une prise en compte de la spécificité de la Shoah aujourd’hui


L’affiche de 1956 est en noir et blanc et montre une image de déportés squelettiques, nus et rasés révélant toute l’horreur des camps. On peut voir également un tas de cheveux. Cette affiche suggère l’horreur à travers la maigreur qui reflète des conditions de vie épouvantables.
L’affiche de 2003, qui sert également de couverture pour l’édition DVD, est en couleur et représente la photo d’un enfant du ghetto de Varsovie qui s’apprête à être déporté. Cette photo montre toute l’atrocité de l’extermination des Juifs y compris les enfants. De plus sur cette affiche on voit également un homme qui se suicide en se jetant sur les barbelés électrifiés et un triangle avec une chouette.

Ce film est un bon outil pour construire la mémoire de la Shoah mais cependant, ce film a des limites. Il ne fait pas la distinction entre camp de concentration et d’extermination et on ne dit pas qui sont les déportés.
L’analyse de ces deux affiches permet donc de constater qu’aujourd’hui la mémoire de la Shoah s’est enrichie car on voit qu’en 2003, grâce à la photo du petit garçon du ghetto de Varsovie il devient plus clair qu’en 1956 que les personnes exterminées ont été d’abord des Juifs. Les deux affiches prouvent que la mémoire se construit de mieux en mieux car entre 1956 et 2003, on a montré qu’il y avait des distinctions à faire entre les morts : par exemple que sur 6 millions de Juifs tués, 1million était des enfants.

Rapport entre histoire et mémoire

Enfin nous allons donc maintenant voir le rapport entre l’histoire et la mémoire.
Comme nous l’avons vu précédemment, Nuit et Brouillard a donc eu pour objectif majeur de participer à la construction du savoir ainsi qu’à la connaissance de la vérité. De plus, en élaborant un tel film, Alain Resnais avait aussi pour but de permettre la conservation de la mémoire et d’immortaliser ce qui s’est réellement passé. Ainsi, nous pouvons donc supposer que la finalité d’un tel film était de résonner les consciences en leurs montrant toute l’horreur des camps et du nazisme afin d’éviter que cela recommence à nouveau. De plus, en mélangeant différentes sorte d’images cela permet de se compléter et ainsi d’être plus précis, plus réalistes (avec notamment les images d’archives) et aussi plus concret.

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