jeudi 31 mai 2007

Si c’est un homme, Primo Levi, 1947


Si c’est un homme, intitulé à l’origine Se questo è un uomo, est avant tout le témoignage d’une victime des camps de concentration et d’extermination nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.

Un besoin de partager son expérience et d’étudier l’âme humaine

Primo Lévi commence l’écriture de cet ouvrage pour satisfaire un besoin qui l’obsède : partager son expérience du camp. En 1945, il est contacté pour écrire une sorte de rapport technique sur le fonctionnement du camp d’Auschwitz. Lévi se bat pour faire publier son livre mais les maisons d’édition le lui refusent à un moment où on tente d’oublier, de tourner la page. Le livre est tout de même publié pour la première fois en 1947 à 2500 exemplaires et passe totalement inaperçu. Ce n’est qu’à partir de 1963 que le livre commence à se faire connaître et à être traduit dans de nombreuses langues.
Si c’est un homme raconte son expérience du camp d’Auschwitz durant la Seconde Guerre mondiale. Ce livre est un récit du quotidien pénible et de la lutte pour sa survie. Il y explique avec de nombreux détails le principe de déshumanisation entrepris par les nazis, la hiérarchie parmi les déportés, les conditions de survie et l’amitié qui peut naître entre les déportés. Ce livre est encore aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs témoignages sur la Shoah.

Dans son œuvre Primo Lévi a donc une volonté de se libérer d’une expérience insupportable, de témoigner pour que cela ne se reproduise pas. Dans la préface qu’il a écrite en janvier 1947, l’auteur fait part de son intention : témoigner et rendre compte de l’état d’esprit qui régnait dans ce camp et proposer « une étude dépassionnée de l’âme humaine. » en fournissant une base, un document qui relate des faits réels, vécus à cette époque.

Lancer un signal d’alarme

Dans sa préface, Primo Lévi évoque bien son intention d’écrire pour que « l’histoire des camps d’extermination retentisse pour tous comme un signal d’alarme ». Cette phrase montre bien l’intention de l’auteur d’écrire pour dénoncer et prévenir

La préface du livre est suivie du poème suivant :

Vous qui vivez en toute quiétude Bien au chaud dans vos maisons, Vous qui trouvez le soir en rentrant La table mise et des visages amis, Considérez si c’est un homme Que celui qui peine dans la boue, Qui ne connaît pas de repos, Qui se bat pour un quignon de pain, Qui meurt pour un oui pour un non. Considérez si c’est une femme Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux Et jusqu’à la force de se souvenir, Les yeux vides et le sein froid Comme une grenouille en hiver. N’oubliez pas que cela fût, Non, ne l’oubliez pas : Gravez ces mots dans votre cœur. Pensez-y chez vous, dans la rue, En vous couchant, en vous levant ; Répétez les à vos enfants. Ou que votre maison s’écroule, Que la maladie vous accable, Que vos enfants se détournent de vous.

Primo Lévi a écrit ce poème afin de faire comprendre au lecteur « l’esprit » de l’œuvre, quel est le but d’une telle œuvre. Ce poème est donc un véritable appel à la réflexion.

Dans l’appendice écrit en 1976, Primo Lévi précise bien l’importance d’un tel ouvrage en distinguant deux catégories d’individus parmi ceux qui ont vécu l’expérience des camps : ceux qui veulent oublier sans y arriver, refouler ce qu’ils ont vécu et tenter de reconstruire leur vie, et ceux, comme lui, pour qui se souvenir est un devoir, il ne faut pas oublier et montrer que les camps n’ont pas été un accident de l’Histoire et que ceci peut se reproduire si on ne se force pas à garder en mémoire ses atrocités et garder à l’esprit que cela ne doit en aucun se reproduire.

Lancer un signal d’alarme : comment le passé peut-il aider à comprendre le présent ?

Un témoignage se définit par sa capacité à rapporter un événement vécu une personne. Celui ci sert à partager et communiquer aux autres son expérience. Rendre compte de l'état d'esprit des gens à une période donnée et dresser la chronologie des faits, c'est d'abord cela un témoignage. Le témoignage de Primo Lévi sur le camp d’Auschwitz peut permettre de se construire un savoir sur le passé et mettre en garde sur les menaces du présent.

Pour que les personnes d’aujourd’hui puissent savoir ce qui s’est passé, il faut témoigner pour qu’une telle folie ne se reproduise pas, pour éviter l’irréparable, comme pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette « folie » nous concerne encore aujourd’hui : de nouvelles menaces terroristes, racistes, antisémites et xénophobes planent au-dessus de nos têtes. De plus, après la Shoah, d’autres génocides se sont produits comme au Cambodge, au Rwanda ou en ex-Yougoslavie. Ces actions sont terribles et personne n’a le droit de tuer des hommes, des peuples, simplement parce qu’ils ne suivent pas la même religion, n’ont pas les mêmes coutumes ou fait les mêmes choix de vie que la majorité. Personne n’a le droit de tuer sous prétexte que tel ou tel individu est différent, par peur de l’autre. Cependant si nous n’avons pas le droit de tuer, nous avons le devoir d’informer, de tenir les nouvelles générations au courant de ces atrocités pour que cela ne se reproduise pas, pour que l’on réalise jusqu’où cela peut nous mener. Informer, pour ne pas oublier.
Dire les raisons absurdes de ce génocide, dire l’horreur, c’est un devoir pour le présent.

Les témoignages permettent de lutter contre l'oubli mais aussi contre les déformations, les erreurs et les fausses interprétations qui peuvent êtres faites au sujet de cette sombre période de l'Histoire de l'Humanité. Dans Si c'est un homme, Primo Lévi fait un récit fidèle des événements, et évoque la mémoire de ceux qui ont vécu le Lager avec lui. Mais il y a aussi autre chose dans cette œuvre : tous les commentaires que Primo Lévi fait, a posteriori, sur le drame vécu par des millions de personnes. Ces commentaires dénoncent « tout le mal de notre temps » que l'auteur résume en une seule image, en une vision qui lui est familière, comme il le dit lui-même, celle d'un « homme décharné, le front courbé et les épaules voûtées, dont le visage et les yeux ne reflètent nulle trace de pensée. »

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