Shoah est un mot hébreu qui signifie « anéantissement » et désigne l’extermination de plus de six millions de Juifs par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. La mise à mort du peuple juif se singularise par son caractère industriel, bureaucratique et systématique, ce qui la rend encore aujourd'hui sans équivalent dans l'histoire de l'humanité.
Shoah, c’est également le titre d’un film de Claude Lanzmann sorti en 1985 et considéré comme une œuvre majeure. Cette production cinématographique de 570 minutes en version longue est réalisée à partir de témoignages de survivants collectés pendant une dizaine d’années. Le film se déroule donc de nos jours à Chelmno-sur-Ner.
Sur les traces de Simon Srebnik, un rescapé de la mort
Nous sommes de nos jours, en Pologne, sur le lieu qui fut le premier site d’extermination des Juifs par le gaz. Ici, quatre cent mille Juifs sont morts assassinés. On compte deux rescapés : Mordechai Podchlebnik et Simon Srebnik. Simon Srebnik, enfant de treize ans et demi, devait être exécuté par les nazis, deux jours avant l’arrivée des troupes soviétiques. Il échappa à la mort, fut recueilli par un paysan polonais et sauvé par un médecin-major de l’Armée rouge. Plus de trente ans après, Claude Lanzmann l’a convaincu de revenir à Chelmno.
Un film fait à partir de rien sur les lieux
Shoah s’ouvre sur un plan général où nous voyons une barque avec un homme assis, silencieux, à l’avant. À l’autre extrémité, un homme debout, pagaie doucement. La caméra, sur la rive, suit le déplacement de l’embarcation de la gauche vers la droite. Les rives étant bordées d’arbres, l’image, sombre au départ, s’éclaircit dès que le ciel entre dans le champ de la caméra. Des troncs, par moments, gênent la vue. On entend les aboiements d’un chien et une voix s’élève qui chante : les paroles sont traduites et sous-titrées. La lecture du texte précédent nous fait comprendre que nous sommes en présence de Simon Srebnik, l’enfant chanteur, remontant à nouveau la Ner sur une petite barque. À la fin du plan, des paysans polonais, en voix off, traduits par une voix féminine en français, se souviennent d’avoir entendu cette complainte. Ce premier plan pose, dès le début du film, quelques éléments fondamentaux de l’ensemble de l’œuvre : les lieux (revenir sur le lieu même où s’est passée l’action), les voix (traduites ou sous-titrées), les personnages (le Juif, seul, immobile, qui ne voit pas où il va et les Polonais qui parlent, qui agissent ; chacun ayant sa manière propre de se souvenir), le panoramique (mouvement de caméra descriptif qui donne à voir, qui représente). Dès les premières images, il est indéniable que nous sommes face à une œuvre où la volonté de mise en scène s’affiche fortement.
Nous retrouvons Simon Srebnik, sur la barque. Il a quarante-sept ans mais en fait plus. Il est en train de chanter les paroles entendues dans le plan précédent. À nouveau, les voix des Polonais se font entendre et expriment leur émotion à réécouter l’enfant chanteur. Nouvelle mise en place de constituants forts du film : les visages (celui de Simon Srebnik, exceptionnel survivant, acquiert ici une valeur toute symbolique de tous les visages à venir), le travelling (mouvement de caméra qui accompagne, qui suit, qui conduit à revivre l’action), la répétition du même (revenir sur le lieu, rechanter les paroles, réentendre l’enfant, refaire les mêmes gestes...).
Simon Srebnik, marche, silencieux, dans un chemin forestier. Il regarde, cherche des yeux, s’arrête, hoche la tête et parle : c’est difficile à reconnaître, mais c’est le lieu. À la volonté de revenir sur les lieux s’oppose l’absence de trace. Tout a disparu, la nature a repris possession de son territoire. Il ne reste plus à Simon Srebnik qu’à refaire, redire, revivre, ici et maintenant. Cette absence et tout à la fois la permanence des lieux vont s’imposer tout au long des trajets, des voyages, des retours qu’accomplit, lui aussi, Claude Lanzmann.
Nous découvrons donc le lieu : une vaste clairière totalement nue, vide d’où surgissent seulement des petits murets délimitant les fondations des bâtiments. L’herbe a tout envahi et il est très difficile de distinguer les traces. Srebnik réaffirme que personne n’en repartait jamais.
Un film qui dit beaucoup
Simon Srebnik décrit, face à ce vide, l’arrivée des camions, les immenses fours et les flammes qui montaient jusqu’au ciel. Il accompagne d’un regard et d’un geste la montée des flammes. Il les (re)voit. Mais son regard est aussi sans expression, sans repères car Shoah est un film réalisé à partir de rien de ce que Claude Lanzmann appelle une défiguration des lieux. Srebnik arpente le lieu et parle et Claude Lanzmann apparaît furtivement. Ce sixième plan s’achève sur un gros plan des visages de Srebnik et Lanzmann
Nous retrouvons Simon Srebnik dans un plan général de la clairière, s’éloignant en marchant sur le muret d’un des bâtiments et exprimant son impossibilité à se représenter en ce lieu. L’endroit est calme, paisible, comme il l’était quand les flammes montaient dans le ciel.
L’idée de travail à faire, à bien faire, à faire sans réfléchir, sans se révolter, va resurgir tout au long du film. Lorsque Srebnik, sur sa barque, remonte la Ner, nous apercevons sur la berge, à proximité, l’église du village, des champs cultivés : il est clair que les Polonais vivaient/vivent à quelques pas du lieu de l’extermination. Claude Lanzmann, par une démarche qu’il conserve tout au long du film, ne se contente pas de faire renaître les souvenirs dans les propos de Polonais qui sont au passé. Il veut savoir et leur faire dire ce qui se passe aujourd’hui dans leurs cœurs.
Un film qui joue sur le sentiment d’identification
Shoah repose en grande partie sur la notion d’identification, car il est essentiel au projet du film que le spectateur devienne celui qui va mourir.
Pour Claude Lanzmann, il s’agit de donner à voir, puis de donner à comprendre, pour enfin donner à être. Ainsi, dans la scène de la locomotive avec Henrik Gawkowski, la caméra est placée de telle façon que le spectateur découvre le panneau de Treblinka avec les yeux des Juifs à l’issue de leur voyage.
Tout au long de Shoah, un visage en gros plan occupe souvent aussi le cadre : pendant qu’il y a des temps de parole, que le temps s’écoule, l’image est émotion. Avec les images de convois, de trains et de camions, de voies ferrées et de routes, des rampes, de camps menant à la mort, nous refaisons les trajets, mais nous revivons aussi la durée interminable du voyage. De plus, Claude Lanzmann a dans son film interviewé les deux camps : celui des victimes et celui des coupables. Il est allé à la rencontre d’un ancien SS. Pendant l’interview, Franz Suchomel s’assure que son nom ne sera pas divulgué. Cependant celui-ci venait d’être annoncé en bas de notre écran. Mais à aucun moment Claude Lanzmann ne porte un jugement direct, que ce soit avec cet ancien SS ou avec les victimes ou encore avec les civils polonais. Il fait témoigner.
Shoah, c’est l’histoire d’un peuple, mais c’est aussi notre histoire à tous.
Shoah, c’est également le titre d’un film de Claude Lanzmann sorti en 1985 et considéré comme une œuvre majeure. Cette production cinématographique de 570 minutes en version longue est réalisée à partir de témoignages de survivants collectés pendant une dizaine d’années. Le film se déroule donc de nos jours à Chelmno-sur-Ner.
Sur les traces de Simon Srebnik, un rescapé de la mort
Nous sommes de nos jours, en Pologne, sur le lieu qui fut le premier site d’extermination des Juifs par le gaz. Ici, quatre cent mille Juifs sont morts assassinés. On compte deux rescapés : Mordechai Podchlebnik et Simon Srebnik. Simon Srebnik, enfant de treize ans et demi, devait être exécuté par les nazis, deux jours avant l’arrivée des troupes soviétiques. Il échappa à la mort, fut recueilli par un paysan polonais et sauvé par un médecin-major de l’Armée rouge. Plus de trente ans après, Claude Lanzmann l’a convaincu de revenir à Chelmno.
Un film fait à partir de rien sur les lieux
Shoah s’ouvre sur un plan général où nous voyons une barque avec un homme assis, silencieux, à l’avant. À l’autre extrémité, un homme debout, pagaie doucement. La caméra, sur la rive, suit le déplacement de l’embarcation de la gauche vers la droite. Les rives étant bordées d’arbres, l’image, sombre au départ, s’éclaircit dès que le ciel entre dans le champ de la caméra. Des troncs, par moments, gênent la vue. On entend les aboiements d’un chien et une voix s’élève qui chante : les paroles sont traduites et sous-titrées. La lecture du texte précédent nous fait comprendre que nous sommes en présence de Simon Srebnik, l’enfant chanteur, remontant à nouveau la Ner sur une petite barque. À la fin du plan, des paysans polonais, en voix off, traduits par une voix féminine en français, se souviennent d’avoir entendu cette complainte. Ce premier plan pose, dès le début du film, quelques éléments fondamentaux de l’ensemble de l’œuvre : les lieux (revenir sur le lieu même où s’est passée l’action), les voix (traduites ou sous-titrées), les personnages (le Juif, seul, immobile, qui ne voit pas où il va et les Polonais qui parlent, qui agissent ; chacun ayant sa manière propre de se souvenir), le panoramique (mouvement de caméra descriptif qui donne à voir, qui représente). Dès les premières images, il est indéniable que nous sommes face à une œuvre où la volonté de mise en scène s’affiche fortement.
Nous retrouvons Simon Srebnik, sur la barque. Il a quarante-sept ans mais en fait plus. Il est en train de chanter les paroles entendues dans le plan précédent. À nouveau, les voix des Polonais se font entendre et expriment leur émotion à réécouter l’enfant chanteur. Nouvelle mise en place de constituants forts du film : les visages (celui de Simon Srebnik, exceptionnel survivant, acquiert ici une valeur toute symbolique de tous les visages à venir), le travelling (mouvement de caméra qui accompagne, qui suit, qui conduit à revivre l’action), la répétition du même (revenir sur le lieu, rechanter les paroles, réentendre l’enfant, refaire les mêmes gestes...).
Simon Srebnik, marche, silencieux, dans un chemin forestier. Il regarde, cherche des yeux, s’arrête, hoche la tête et parle : c’est difficile à reconnaître, mais c’est le lieu. À la volonté de revenir sur les lieux s’oppose l’absence de trace. Tout a disparu, la nature a repris possession de son territoire. Il ne reste plus à Simon Srebnik qu’à refaire, redire, revivre, ici et maintenant. Cette absence et tout à la fois la permanence des lieux vont s’imposer tout au long des trajets, des voyages, des retours qu’accomplit, lui aussi, Claude Lanzmann.
Nous découvrons donc le lieu : une vaste clairière totalement nue, vide d’où surgissent seulement des petits murets délimitant les fondations des bâtiments. L’herbe a tout envahi et il est très difficile de distinguer les traces. Srebnik réaffirme que personne n’en repartait jamais.
Un film qui dit beaucoup
Simon Srebnik décrit, face à ce vide, l’arrivée des camions, les immenses fours et les flammes qui montaient jusqu’au ciel. Il accompagne d’un regard et d’un geste la montée des flammes. Il les (re)voit. Mais son regard est aussi sans expression, sans repères car Shoah est un film réalisé à partir de rien de ce que Claude Lanzmann appelle une défiguration des lieux. Srebnik arpente le lieu et parle et Claude Lanzmann apparaît furtivement. Ce sixième plan s’achève sur un gros plan des visages de Srebnik et Lanzmann
Nous retrouvons Simon Srebnik dans un plan général de la clairière, s’éloignant en marchant sur le muret d’un des bâtiments et exprimant son impossibilité à se représenter en ce lieu. L’endroit est calme, paisible, comme il l’était quand les flammes montaient dans le ciel.
L’idée de travail à faire, à bien faire, à faire sans réfléchir, sans se révolter, va resurgir tout au long du film. Lorsque Srebnik, sur sa barque, remonte la Ner, nous apercevons sur la berge, à proximité, l’église du village, des champs cultivés : il est clair que les Polonais vivaient/vivent à quelques pas du lieu de l’extermination. Claude Lanzmann, par une démarche qu’il conserve tout au long du film, ne se contente pas de faire renaître les souvenirs dans les propos de Polonais qui sont au passé. Il veut savoir et leur faire dire ce qui se passe aujourd’hui dans leurs cœurs.
Un film qui joue sur le sentiment d’identification
Shoah repose en grande partie sur la notion d’identification, car il est essentiel au projet du film que le spectateur devienne celui qui va mourir.
Pour Claude Lanzmann, il s’agit de donner à voir, puis de donner à comprendre, pour enfin donner à être. Ainsi, dans la scène de la locomotive avec Henrik Gawkowski, la caméra est placée de telle façon que le spectateur découvre le panneau de Treblinka avec les yeux des Juifs à l’issue de leur voyage.
Tout au long de Shoah, un visage en gros plan occupe souvent aussi le cadre : pendant qu’il y a des temps de parole, que le temps s’écoule, l’image est émotion. Avec les images de convois, de trains et de camions, de voies ferrées et de routes, des rampes, de camps menant à la mort, nous refaisons les trajets, mais nous revivons aussi la durée interminable du voyage. De plus, Claude Lanzmann a dans son film interviewé les deux camps : celui des victimes et celui des coupables. Il est allé à la rencontre d’un ancien SS. Pendant l’interview, Franz Suchomel s’assure que son nom ne sera pas divulgué. Cependant celui-ci venait d’être annoncé en bas de notre écran. Mais à aucun moment Claude Lanzmann ne porte un jugement direct, que ce soit avec cet ancien SS ou avec les victimes ou encore avec les civils polonais. Il fait témoigner.
Shoah, c’est l’histoire d’un peuple, mais c’est aussi notre histoire à tous.
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